Le risque juridique lié à la délivrance dans le DIP des états de marché
» Télécharger le pdfJean-Baptiste Gouache (Avocat – Associé)
Membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise
L’état de marché est un point de risque juridique pour toutes les enseignes qui sont tenues de délivrer un DIP. Pour le maîtriser, il faut d’abord savoir ce qu’est un état de marché, avant de mettre en place les processus internes de mise en état des DIP propres à respecter les éléments de définition des états de marché.
Rappelons d’abord que l’exigence des états de marché est posée par l’article L.330-3 du Code de commerce, dès lors qu’une personne met à disposition d’une autre personne une marque, un nom commercial ou une enseigne et qu’elle exige de son cocontractant un engagement d’exclusivité ou de quasi-exclusivité, elle doit lui fournir, préalablement à la signature du contrat, un document d’information précontractuel comportant des informations sincères lui permettant de s’engager en connaissance de cause, informations listées par l’article R.330-1 du Code de commerce.
Parmi la liste des informations que doit contenir le document d’information précontractuel, figure une présentation de l’état local et de l’état général du marché en cause. Une chose est donc sûre : les enseignes qui doivent délivrer un DIP doivent fournir un état de marché.
La pratique que certains conseils ont pu recommander de s’abstenir de fournir un état de marché en demandant au candidat de réaliser lui-même son étude de marché est formellement contraire au texte de loi, qui rend l’enseigne débitrice de cette obligation, laquelle est d’ordre public, et fait l’objet d’une sanction pénale : les parties ne peuvent, même d’un commun accord, déroger à cette obligation.
L’état de marché doit donc être fournit. Mais que cet état de marché soit général ou local, il n’est pas légalement défini. La loi cite cette notion sans en poser aucune définition. Ceci est évidemment source difficultés et d’insécurité juridique.
Cependant, la jurisprudence et la pratique ont permis d’en définir les principaux éléments, lesquels doivent être pris en considération par la tête de réseau afin de se prémunir contre les risques de nullité de ses contrats de distribution afférents à un défaut des états de marché.
Qu’est-ce qu’un état de marché ?
Fournir un état de marché n’implique pas, pour la tête de réseau, de fournir à ses distributeurs, une étude de marché. Une jurisprudence constante considère que la tête de réseau n’a pas à fournir d’étude de marché.
Un état de marché est une photographie du marché, sans analyse particulière résultant de la confrontation de l’offre et de la demande. Un état de marché n’a pas à conclure relativement à la place de l’enseigne sur son marché (part de marché) et ce faisant à au chiffre d’affaire potentiel du point de vente dont l’ouverture est envisagée.
Ainsi, un état de marché est un simple recueil de données brutes et objectives, relatives à l’offre et à la demande du marché en cause à une date donnée.
Au contraire, une étude de marché comporte une analyse de l’offre et de la demande, qui doit permettre de conclure à la part de marché de l’enseigne et doit permettre de construire des hypothèses de chiffre d’affaires prévisionnel.
Deux conséquences de cette analyse sont aujourd’hui retenues pas la jurisprudence.
D’une part, si la tête de réseau se contente de fournir au distributeur un état de marché, il incombe au distributeur d’effectuer lui-même ou de faire effectuer, par des professionnels en géomarketing notamment, sa propre étude du marché en cause afin d’apprécier la rentabilité économique de son projet.
D’autre part, si la tête de réseau remet volontairement au distributeur une étude et non un état de marché, cette étude doit être complète, sincère et exacte, et ne pas se contenter de fournir des renseignements « succincts » sur la présentation du marché.
La jurisprudence considère qu’une étude n’est pas sincère lorsqu’elle prive le distributeur des éléments d’appréciation lui permettant de se former valablement une opinion sur l’opportunité de son investissement.
En l’absence de fourniture d’état de marché ou en présence d’une étude non sincère fournie par la tête de réseau au distributeur, les conséquences pour la tête de réseau peuvent être dévastatrices pour son développement. Les juges considèrent en effet que de telles situations, peuvent concourir à vicier le consentement du distributeur, et sont donc susceptibles d’entraîner la nullité du contrat conclu.
En effet, si l’absence d’état de marché, ou son caractère erroné, incomplet ou inexact, a amené le distributeur à contracter alors qu’il ne l’aurait pas fait s’il avait connu la véritable situation du marché, le contrat de distribution doit être annulé et les parties remises dans l’état où elle se trouvait avant de conclure le contrat.
La jurisprudence est d’autant plus sévère qu’elle ne semble plus exiger, depuis récemment, notamment en matière de fourniture par la tête de réseau de comptes prévisionnels erronés, l’existence de manœuvres, de mensonges ou d’une réticence intentionnelle d’information, par la tête de réseau, pour que le contrat soit annulé. La jurisprudence a en effet reconnu, quant à la fourniture de prévisionnels erronés par un franchiseur à un candidat à la franchise, que le vice du consentement du franchisé était caractérisé par une erreur substantielle sur la rentabilité économique de l’activité entreprise par le franchisé. La Cour de Cassation a en effet considéré, qu’après avoir constaté que les résultats du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, la Cour d’appel aurait dû vérifier « si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité de l’entreprise » (Cass. com. 4 oct. 2011, n°10-20.956).
Le distributeur n’a plus aujourd’hui, qu’à démontrer une erreur de la part de la tête de réseau, même non intentionnelle, pour espérer voir son contrat de distribution annulé. Il nous semble qu’un courant jurisprudentiel en ce même sens pourrait prospérer s’agissant des états de marché.
De l’analyse de cette jurisprudence, on peut tirer trois règles de conduite pour l’enseigne :
- établir des états de marché complets, sincères et véridiques en se dotant d’une démarche méthodologique et d’outil de construction des états de marché (bases de données, logiciels ad hoc) qui permettent de garantir le caractère sincère et complet de l’état, ou à défaut, d’avoir la sagesse de s’en remettre à des professionnels des études marketing ;
- ne pas délivrer au candidat d’études de marché, à peine de voir le niveau de sa responsabilité juridique augmenter sensiblement et de se mettre significativement à risque de nullité du contrat s’il pouvait être établit que l’étude était dolosive, ou plus simplement encore qu’elle a induit en erreur le franchisé sur la rentabilité du contrat de franchisé et a contribué au vice du consentement du franchisé ;
- demander systématiquement au candidat de réaliser ses propres études, c’est-à-dire d’analyser lui-même ou mieux encore à l’aide de ses conseils (parfaitement indépendants de l’enseigne qui ne doit pas participer au financement de l’étude), afin qu’après avoir effectué ses recherches, qui devront comporter des éléments permettant une analyse (liste des produits et des prix des concurrents, études de flux voitures / piétons devant l’emplacement choisi et ceux des concurrents, etc.), une conclusion et la détermination d’hypothèses d’activité prévisionnelles ; une copie de cette étude du candidat devra être remise au franchiseur et versée au dossier du franchisé, lequel pourra ensuite difficilement faire valoir un vice du consentement en ayant conduit des diligences d’étude qui vont bien au-delà du niveau d’information délivré par l’enseigne dans l’état de marché.
Il nous semble important de rappeler que les juges font une analyse in concreto, c'est-à-dire au cas par cas, en tenant compte de la personne, de l’expérience et de la connaissance que distributeur a de son marché.
Ainsi par exemple, le niveau d’exigence des tribunaux pourra être différent selon qu’il s’agisse d’un futur distributeur n’ayant pas d’expérience dans le secteur concerné, ou qu’il s’agisse d’un renouvellement pour un franchisé ayant plusieurs années d’expérience sur ce même marché.
Cela signifie donc en pratique :
- que les informations fournies peuvent le cas échéant devoir être renforcées pour certains des futurs distributeurs du réseau, dénués de toute expérience du marché considéré, tant s’agissant des produits que du secteur géographique ;
- qu’au contraire, face à un profil de candidat plus aguerri, il conviendra de se préserver au dossier du candidat les preuves de son expérience antérieure (dossier de candidature figura nt cette expérience, cv, etc.).
Dans tous les cas :
- le DIP doit à notre sens mentionner qu’un état n’est pas une étude et prescrire au candidat de réaliser sa propre étude pour parfaire son consentement au contrat ;
- le contrat doit comporter des déclarations préalables selon lesquels le distributeur a lui-même procédé à l’analyse du marché général et du marché local, qu’il a conduit sa propre étude et déterminé seul l’adéquation des caractéristiques de son marché à la création de son entreprise.
Comment définir le périmètre de l’état de marché ?
Avant de pouvoir fournir au distributeur un état de marché, il lui faut déterminer quel est le marché concerné par son activité et donc en délimiter le périmètre. Deux éléments permettent de définir le périmètre de l’état de marché qu’une tête de réseau doit fournir à ses distributeurs :
la substituabilité des produits et/ou services, d’une part ; et le marché géographique, d’autre part.
S’agissant de la notion de substituabilité des produits ou de services, selon l'idée générale qui se dégage de la jurisprudence, deux produits ou deux services sont substituables s'ils peuvent répondre au même besoin en raison de leurs caractéristiques, de leurs prix, de leur qualité et de l'usage auquel ils sont destinés. Pour savoir si deux produits ou deux services sont substituables ou non, il faut se placer, en principe, du point de vue de l'utilisateur ou du consommateur.
Pour procéder à une telle analyse, plusieurs critères doivent être pris en compte, notamment, la nature du produit ou service, sa fonction et son utilisation. La question qu’il faut se poser afin de savoir si un produit ou service est substituable à un autre est de savoir si un consommateur pourrait remplacer le produit ou le service contractuel par un autre.
Par exemple, une voiture de la marque Porsche appartiendrait au marché des voitures de luxe et non au simple marché des voitures. En effet, un consommateur souhaitant acheter une telle voiture va l’acquérir pour ses qualités sportives, de confort et de luxe, et ne souhaitera pas acheter, à la place, une voiture avec une motorisation modeste dédiée au transport familial, par exemple.
La notion de substituabilité a été définie de manière assez précise en droit de la concurrence, et le régime de cette notion pour l’application des articles L. 330-3 et R 330-1 du Code de commerce peut à notre sens être largement inspiré du droit de la concurrence pour suppléer les lacunes de la jurisprudence relative à ces articles.
S’agissant du marché géographique, une distinction doit être opérée entre l’état local et l’état général de marché.
Les décisions qui abordent la question du marché local font soit référence à la zone de chalandise, soit utilisent une référence géographique (la ville, la zone d’exclusivité contractuelle). Elle ne nous semble pas bien fixée et il ne ressort pas clairement une référence à un marché qui serait géographiquement pertinent avec des règles précises de définition de ce marché.
La définition du marché local est pourtant importante en ce qu’elle est susceptible, une fois de plus, d’impliquer un vice du consentement du distributeur.
Par exemple, en limitant l’état de marché local à l’exclusivité territoriale accordée, la tête de réseau prend le risque de ne pas citer dans son état des concurrents directs du distributeur qui seraient dans la zone de chalandise ou créerait une forte évasion commercial, pouvant impliquer pour le distributeur une déception quant au nombre de clients et donc quant à ses résultats d’exploitation. Typiquement, l’exemple est celui du distributeur de meuble ne mentionnant pas dans son état local de marché, la présence d’un IKEA dans une métropole régionale voisine, à 80 kms, que les clients de la zone de chalandise du distributeur n’hésitent pourtant pas à franchir pour s’approvisionner en meubles auprès d’IKEA.
Inversement, si le marché local présenté dans l’état va clairement au-delà de la zone de chalandise réelle du distributeur, il lui est laissé croire que le nombre de consommateurs potentiels sera important, alors qu’en réalité celui-ci sera bien inférieur en réalité.
Ainsi, l’appréciation doit se faire au cas par cas. Si la zone de chalandise est plus grande que la zone d’exclusivité contractuelle, il semble prudent que les informations présentées couvrent non seulement la zone d’exclusivité mais également la zone de chalandise. L’appréciation de sa taille doit toutefois demeurer raisonnable pour ne pas laisser croire au candidat que le marché est significativement plus important qu’il ne l’est en réalité. Ainsi, notre opinion est que l’état local ne doit pas nécessairement se contenter de présenter la zone d’exclusivité, mais bien le marché pertinent au plan géographique.
S’agissant de l’état général de marché, là encore, aucune définition légale ou réglementaire n’existe.
L’état général peut toutefois le plus souvent se définir comme une présentation du marché national du produit ou du service en cause.
En effet, la réglementation, le positionnement prix des produits ou service de l’enseigne, l’état du pouvoir d’achat dans le pays, celui de la concurrence, le coût des facteurs de production, sont le plus souvent différents d’un pays à un autre, de sorte qu’il est logique de présenter le marché au niveau national. Ce point n’a pas fait l’objet de critiques par les juges à notre connaissance.
Que doit contenir un état de marché ?
Il est admis que quatre catégories d’information doivent être transmises aux distributeurs dans un état de marché :
- la demande,
- l’offre,
- les perspectives d’évolutions du marché ;
- les mentions de datation et de source des informations transmises.
L’ensemble de ces informations doivent être limitées au marché préalablement délimité.
S’agissant des informations relatives à la demande sur le marché en cause, il convient de faire état de la demande des consommateurs. Dans cette optique, il faut prendre en considération les caractéristiques objectives des consommateurs c'est-à-dire les caractéristiques notamment en matière d’âge, de sexe mais aussi en matière de catégorie socioprofessionnelle, si ce sont des personnes physiques, ou en matière de domaine d’activité, de chiffres d’affaires, si ce sont des entreprises.
Ainsi, pour exemple, dans le secteur de la lingerie féminine, les informations pertinentes seraient celles relatives au sexe des consommateurs (exclusion des hommes), à l’âge (selon les qualités et les prix des produits, les consommatrices ne seront pas les mêmes).
Le secteur du jouet impliquerait, lui, une présentation de la demande définissant le consommateur visé, l’enfant, mais devant aussi prendre en compte l’âge, le sexe. A titre d’illustration, s’agissant d’une poupée, la demande serait restreinte à des enfants de sexe féminin d’un âge déterminé.
Il faut donc pour la tête de réseau délimiter avec précision quelle est la typologie des consommateurs propre aux produits et aux services concernés par son activité.
En ce qui concerne l’offre, il convient de faire un état des produits ou services et des entreprises présentes sur le marché pour les distribuer, selon les canaux de distribution existant. Nous insistons sur la nécessité de bien identifier les canaux de distribution.
Pour poursuivre sur l’exemple de la vente de lingerie, il faut que l’enseigne liste bien entendu l’ensemble des acteurs de la distribution spécialisée de lingerie, mais sans omettre les distributeurs non spécialisés qui peuvent en distribuer sur le territoire, à l’instar des supermarchés et hypermarchés, des grands magasins ou magasins populaires, mais aussi des entreprises de vente à distance (sur catalogue ou en ligne via des sites internet), ou encore à domicile.
Les perspectives de développement du marché consistent à faire état des opportunités et menaces existants quant au développement du marché en cause.
A titre d’exemple, si le marché en cause est celui de la cigarette électronique, le projet de création, par l’Etat, d’une nouvelle taxe sur la vente de cigarettes électroniques, risquerait d’augmenter le coût de ces produits et de réduire le nombre d’achat par les consommateurs, influant directement, et de manière négative, sur le résultat d’exploitation du distributeur. Cette taxe pouvant avoir un impact sur le résultat d’exploitation du distributeur, ce projet gouvernemental devrait être inséré dans les perspectives de développement du marché s’il existait.
Même si la jurisprudence considère à cet égard que le franchiseur n’a qu’une obligation de moyen, et non de résultat, il n’en demeure pas moins que ces perspectives doivent être réalisées de manière rigoureuse, ne pas être de mauvaise qualité ou fantaisiste, pour ne pas vicier le consentement du futur distributeur.
Enfin, la jurisprudence considère que la fourniture d’informations trop anciennes dans le Document d’Information Précontractuel participe, une fois de plus, à vicier le consentement du distributeur.
L’Etat de marché doit donc contenir les informations les plus récentes possibles. Ainsi, il est important, pour la tête de réseau, de dater les informations transmises dans l’état de marché. Le même raisonnement doit être adopté s’agissant des sources des informations transmises, et de les actualiser autant que faire se peut. Une procédure de vérification de la mise à jour du DIP et des états de marché doit impérativement être mise en place par l’enseigne. Cette procédure définira la périodicité de vérification et les personnes qui en sont responsables.
Au final, la maîtrise du risque lié à l’état local dépend :
- de la faculté de l’enseigne à intégrer un processus de production de celui-ci tenant compte des exigences de la jurisprudence, telles que relatées ci-dessus ;
- de la faculté de l’enseigne à exiger du candidat qu’il étudie lui-même de manière effective et sérieuse son marché local.
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