mardi 19 avril 2016

Cessation de l’usage d’une marque sur Internet

Un ancien distributeur peut-il être considéré dans tous les cas comme responsable de l’usage qui continue d’être fait sur Internet de la marque de son ancien réseau en association avec son nom?

La question de l’usage des marques sur Internet devient un sujet de contentieux de plus en plus important: ainsi en est-il, par exemple, de l’usage de marques de tiers dans le cadre de campagnes Google Adwords, ou encore de l’impossibilité d’interdire à un distributeur de créer son propre site Internet pour vendre les produits objets du contrat, questions que nous avons eu l’occasion d’aborder précédemment.

Nous vous invitons à découvrir ici un article sur la cessation de l'usage d'une marque sur Internet ainsi qu'un article sur la contrefaçon de marque dans une URL.


Un autre contentieux se développe: celui lié à la cessation de l’usage d’une marque par un distributeur qui quitte un réseau. Autant il n’est pas trop difficile pour une marque d’obtenir le retrait d’une enseigne physiquement installée au-dessus d’un ancien point de vente, autant la cessation des usages faits en ligne peut être plus difficile.

Lorsqu’un distributeur quitte un réseau mais que des pages de sites Internet continuent de l’associer à ce réseau et à sa marque, les titulaires de la marque vont généralement tenter de poursuivre leur ancien distributeur du fait de cet usage, notamment sur le fondement de la contrefaçon. Mais l’ancien distributeur peut-il être considéré comme responsable de tous les usages faits en ligne qui l’associent à cette marque?

C’est sur cette question que vient de se prononcer la Cour de Justice de l’Union Européenne dans une décision du 3 mars 2016 (CJUE, 3 mars 2016, C-179/15, Arrêt Daimler AG c/ Együd Garage Gépjármújavitó és Értékesító Kft.) à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour de Budapest, en Hongrie.

Les faits étaient les suivants: Együd Garage avait signé en 2007 une convention de service après vente avec la filiale hongroise de Daimler. Cette convention l’autorisait à utiliser la marque « Mercedes-Benz » pour ses annonces publicitaires ainsi qu’à y faire apparaître la mention « Réparateur Mercedes-Benz agréé ». La convention a pris fin le 31 mars 2012.

Pendant l’exécution de la convention, Együd Garage avait passé commande à un site d’annonces en ligne (MTT) d’une annonce le présentant comme réparateur agréé. D’autres sites d’annonces ou d’annuaires avaient repris, sans qu’Együd Garage ne leur commande quelque publication que ce soit, cette annonce et l’information qu’Együd Garage était réparateur agréé Mercedes.

Au terme de son contrat, Együd Garage a écrit à MTT et à plusieurs autres sites afin que soient supprimées les annonces le présentant en lien avec la marque Mercedes-Benz, sans succès, lesdites annonces continuant à être présentées sur Internet et à ressortir dès lors qu’une recherche Google était réalisée sur les termes « együd » et « garage ».

Daimler AG, titulaire de la marque Mercedes-Benz engageait alors une action en contrefaçon contre Együd Garage en demandant que soit ordonné à Együd Garage de supprimer les annonces en cause. Cette dernière faisait valoir que les annonces en question étaient parues et étaient maintenues indépendamment de sa volonté et que pour l’annonce dont elle avait bien demandé la parution, elle avait fait depuis tout ce qui était en son pouvoir pour qu’elle soit retirée.

La Cour de Budapest saisissait alors la CJUE de la question préjudicielle suivante: l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/95 doit-il être interprété en ce sens qu’un tiers, qui est mentionné dans une annonce publiée sur un site Internet, laquelle contient un signe identique ou similaire à une marque de manière à donner l’impression qu’il existe une relation commerciale entre celui-ci et le titulaire de la marque, fait un usage de ce signe susceptible d’être interdit par ce titulaire en vertu de cette disposition, même lorsque cette annonce n’a pas été placée par ce tiers ou en son nom ou que celui-ci a fait, en vain, tout ce que l’on pouvait attendre de lui pour la faire supprimer.

Cet article permet au titulaire d’une marque d’interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. Signalons que l’article sur le fondement duquel la question a été posée est désormais l’article 10 dans la directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

La CJUE relève tout d’abord qu’Együd Garage a bien fait un usage de la marque au sens de l’article visé, celui-ci étant autorisé pendant la durée de la convention. Un tel usage de la marque au-delà du terme de la convention de la convention de service après vente pouvait bien être interdit par le titulaire de la marque.

Toutefois, la CJUE indique au titre de l’annonce qui avait été publiée par un prestataire à la demande d’Együd Garage, qu’il ne saurait être imputé à cette dernière « des actes ou des omissions d’un tel prestataire qui, délibérément ou par négligence, passe outre les instructions expresses données par ledit annonceur qui visent, précisément, à éviter cet usage de la marque ».  Dans cette hypothèse, la parution de cette annonce sur Internet ne saurait plus s’analyser en un usage de la part de l’annonceur. De ce fait il ne saurait lui être reproché des actes de contrefaçon à ce titre, puisque l’usage n’est plus de son fait.

De même, pour les annonces parues sur d’autres sites du fait d’une initiative propre des exploitants de ces sites et non pas d’une demande du distributeur, « il ne saurait être imputé à un annonceur des actes autonomes d’autres opérateurs économiques, tels que ceux de ces exploitants de sites Internet de référencement, avec lesquels l’annonceur n’entretient aucune relation directe ou indirecte et qui agissent non pas sur commande et pour le compte de cet annonceur mais de leur propre initiative et en leur propre nom ».

La CJUE relève par ailleurs que tant la lettre que l’esprit de l’article 5 en question implique des actes positifs, un comportement actif de la part du tiers, pour qu’il y ait un usage de marque pouvant être interdit par le titulaire de celle-ci.

En résumé, « seul un tiers qui a la maitrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction ». En d’autres termes, un ancien distributeur ou réparateur ne saurait être responsable des annonces qui, malgré ses efforts pour en obtenir la suppression, continuent d’associer son nom avec celui de la marque à laquelle il était affilié.

La CJUE vient par contre préciser que cela n’empêche pas le titulaire de la marque de réclamer la restitution des avantages que son ancien distributeur aurait perçu du fait de ces annonces, ni d’agir directement contre les exploitants des sites faisant paraître les annonces en question.

Il conviendra donc de distinguer deux hypothèses:

-    les sites ou pages sous le contrôle direct de l’ancien distributeur: celui-ci a une obligation de résultat dans le retrait de la marque de son ancien réseau;
-    les autres sites ou pages exploités par des tiers: l’ancien distributeur a pour ceux-ci une obligation de moyen de faire la démonstration qu’il a fait ce qu’il pouvait pour obtenir le retrait. N’étant plus titulaire d’aucun droits sur la marque, il ne peut que demander le retrait mais ne saurait lui même agir judiciairement en contrefaçon. Cette action devra être intentée par le titulaire de la marque (ou une licencié habilité à cet effet). Ce dernier a toutefois tout intérêt à prévoir une obligation contractuelle à la charge du distributeur qui quitte le réseau de faire le nécessaire afin de faire cesser l’usage.

Cette solution ne saurait toutefois lui permettre de tirer un avantage économique de cette exploitation par des tiers et il pourrait être tenu de restituer ledit avantage, sous réserve que l’enseigne arrive à prouver l’existence d’un tel avantage, ainsi qu’à le quantifier.

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