Déséquilibre significatif : appréciation concrète de l'absence de négociations entre les parties
Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour d’appel a débouté le Ministre de l’économie de ses demandes visant à condamner un distributeur sur le fondement de l’article L. 442-6 I 2° pour avoir soumis ses fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations
Dans un arrêt en date du 20 décembre 2017, la Cour d’appel de Paris examine si les conditions requises pour qualifier un déséquilibre significatif entre un distributeur du secteur de la distribution alimentaire et ses fournisseurs, sont réunies.
Le Ministre de l’économie estimait que certaines clauses de la convention d’affaires signée entre une enseigne de la grande distribution – la société ITM Alimentaire France aux droits desquelles vient la société ITM Alimentaire International – sont contraires aux prescriptions de l’article L. 442-6 I, 2° du Code de commerce.
En substance, le Ministre de l’économie soutenait qu’était constitutives de déséquilibre significatif :
- la clause de renégociation de tout ou partie des CGV du fournisseur, et
- la clause en vertu de laquelle le paiement des factures et avoirs par le fournisseur présume de la réalisation effective des obligations et services et du caractère justifié et proportionné des rémunérations versées au titre de l’année écoulée.
Selon l’article L. 442-6 I, 2° du Code de commerce,
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers […][d]e soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont :
- (i) la soumission ou la tentative de soumission, et
- (ii) l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.
La Cour d’appel rappelle que l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément.
Plusieurs jurisprudences, rendues au visa de l’article L. 442-6 I, 2° du Code de commerce avaient considéré que dans certains secteurs où le pouvoir de marché de l’un des partenaires est important – tel que le secteur de la grande distribution alimentaire – la « soumission » ou « tentative de soumission » pouvait être caractérisée par le simple constat que l’accord n’avait pas été modifié par le partenaire (voir par exemple, Cass. Com. 27 mai 2015, n°14-11.387 et Cass. Com., 25 janvier 2017, n° E 15-23.547).
Par sa décision du 20 décembre 2017, la Cour d’appel a considéré que pour démontrer l’élément de soumission ou de tentative de soumission à une clause du contrat, il appartient au demandeur de prouver l’absence de négociation effective de la clause incriminée. Concrètement, cette preuve peut résulter de la circonstance que des fournisseurs cocontractants auraient tenté, mais sans y parvenir, à obtenir la suppression des clauses litigieuses dans le cadre de négociations, ou qu’aucune suite n’aurait été donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier.
Cette solution est particulièrement heureuse car, comme le relèvent les juges du fond, certains fournisseurs du secteur de la distribution alimentaire – loin d’être la « partie faible » au contrat – constituent des grands groupes et arrivent également à imposer des restrictions de concurrence et ne sont pas dépourvus de moyens d’action.
Cette solution est d’autant plus opportune qu’elle permet à la Cour d’appel de relever, en l’espèce, que :
- les clauses litigieuses ne figurent que dans 5 contrats conclus par des fournisseurs, dont la société ITM Alimentaire International justifie qu’ils ne peuvent être qualifiés de PME ou de TPE, et que
- des négociations bien réelles sur les clauses litigieuses ont eu lieu avec plusieurs fournisseurs.
La Cour de cassation avait amorcé cette approche par un arrêt rendu par la chambre commerciale le 4 octobre 2016 (Groupe Carrefour c. le Ministre de l’économie). Pour condamner les sociétés du Groupe Carrefour, la Cour a relevé qu’elles n’avaient pas soutenu que certains fournisseurs, à raison de leur puissance économique, du nombre important de références qu’ils proposaient ou de leur caractère incontournable, étaient parvenus à obtenir la suppression des clauses litigieuses dans le cadre de négociation.
A noter que c’est la première fois que la Cour d’appel admet l’absence de soumission ou de tentative de soumission pour débouter le Ministre de l’économie de ses demandes face à la grande distribution.
En ce qui concerne l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif, la Cour d’appel rappelle que cet élément peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.
En l’espèce, les juges du fond considèrent que la clause de renégociation des CGV du fournisseur n’est pas constitutive d’un déséquilibre significatif dans la mesure où elle ne fait peser aucune obligation positive sur celui-ci, mais renvoie à la faculté, pour les parties, d’exclure ou rediscuter des CGV du fournisseur d’un commun accord.
En revanche, concernant la clause instaurant une présomption de réalisation de la prestation et du caractère équilibré de la rémunération découlant du paiement des factures par le fournisseur, la Cour d’appel juge qu’elle constitue un déséquilibre significatif dès lors qu’elle implique un renversement de la charge de la preuve au profit de la société ITM, sans que celle-ci ne démontre que cet avantage est rééquilibré par une autre clause de la convention.
Il ressort de la lecture de cet arrêt que pour invoquer un déséquilibre significatif à leur égard, les fournisseurs (et le Ministre de l’économie), ne pourront plus se contenter d’invoquer la structure du marché et ses rapports de force présumés déséquilibrés en faveur des distributeurs ou encore la conclusion de conventions-types pré-rédigées : les juges sont invités à apprécier les clauses litigieuses dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto.
CA Paris 20 décembre 2017, n°13/04879
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