« Déséquilibre significatif » et baux commerciaux.
lundi 26 février 2018

« Déséquilibre significatif » et baux commerciaux.

Le glas de l’arme du « déséquilibre significatif » a-t-il sonné ?  Les preneurs peuvent-ils encore résister aux abus de leurs « partenaires » bailleurs ? 

La notion de « déséquilibre significatif », qui permet d’apprécier le caractère abusif d’une clause, n’est pas nouvelle. 

Elle appartenait au droit de la consommation (Article L 132-1 du Code de la consommation) et a été étendue aux pratiques commerciales (Article L 442-6-1 du Code de commerce). 

Elle a pris une nouvelle dimension depuis la réforme du droit des obligations (ordonnance du 10 février 2016). 

Le nouvel article 1171 du Code civil dispose en effet : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation de ce déséquilibre ne porte pas sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». 

Le contrat d’adhésion est défini au nouvel article 1110 alinéa 2 du Code civil comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». 

Se pose ainsi la question de savoir si la notion de « déséquilibre significatif » peut être invoquée par les preneurs pour contrôler les clauses abusives des baux commerciaux.

Certains auteurs autorisés ont répondu par la négative, le bail commercial ne présentant pas selon eux le caractère d’un contrat d’adhésion.

Nous considérons au contraire que certains baux, notamment ceux de bailleurs institutionnels détenant des emplacements « prime » sont susceptibles de constituer des contrats d’adhésion. 

Les conditions générales de ces baux, volumineuses, détaillées et prérédigées, ne sont en effet négociables par les preneurs que lorsque les rapports de force ne sont pas exclusivement favorables aux bailleurs « maîtres » des emplacements. 

Cette marge de négociation de plus en plus réduite trouve également son origine dans la loi Pinel du 18 juin 2014 (dont les effets pervers sont nombreux !), celle-ci ayant organisé les obligations des parties, notamment la répartition des charges, de manière plus impérative. 

La notion de « déséquilibre significatif » constitue donc à notre avis une « arme » pour les preneurs.  

Les preneurs sont susceptibles d’agir en justice à tout moment (sans que leur action ne soit soumise à un délai de prescription) pour faire réputer non écrites (c’est à dire qu’elles seront sensées n’avoir jamais existées) les clauses créant un déséquilibre significatif. 

L’on peut citer à titre d’exemples les clauses potentiellement abusives suivantes : la clause d’augmentation du loyer en cas de cession du fonds de commerce, la clause de modification de la chose louée permettant au bailleur de modifier le bien et son environnement, la clause d’indexation en faveur du seul bailleur.

Dans une décision rendue le 15 février 2018, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application de l’article précité L. 442-6 I 2° du Code de commerce aux baux commerciaux.

Cet article dispose qu’engage « la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

  1.  (…) ; 
  2. De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (…) ». 

A la question de savoir si le preneur d’un bail commercial peut invoquer cet article, la Cour de cassation a répondu «que seules les activités de production, de distribution ou de services entrent dans le champ d’application de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ».

Elle a par conséquent considéré que la Cour d’appel de Paris, sans excéder ses pouvoirs, avait exactement déduit que le litige, qui portait sur l’exécution d’un bail commercial, ne relevait pas des juridictions spécialement désignées pour statuer sur le déséquilibre significatif de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce.

Dans son arrêt dont appel, rendu le 25 novembre 2016 (n°16/08557), ladite Cour avait jugé notamment que les dispositions du statut des baux commerciaux sont exclusives de toute application conjointe ou alternative des dispositions de l’article L. 442-6.

La décision du 15 février 2018 est à rapprocher : 

  • d’un arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2016 (n°14.27.212) qui avait retenu la compétence du tribunal de grande instance et non celle des juridictions spécialisées pour statuer sur un litige dans lequel certes était sollicitée l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, mais dont la solution nécessitait une appréciation préalable du respect du statut des baux commerciaux, 
  • d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 mai 2017 (n°16/18042) qui avait considéré  que l’article L. 442-6 I 2° ne s’applique pas aux baux commerciaux au motif que la mise à disposition d’un local moyennant un loyer ne caractérise pas l’existence d’un partenariat commercial.

Il ressort de la décision commentée que :

  • les preneurs, dont les baux sont affectés de déséquilibres significatifs, sont privés de la possibilité d’invoquer, cumulativement ou alternativement avec les dispositions de droit commun, les dispositions de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, 
  • la porte des juridictions spécialement désignées pour statuer sur lesdites dispositions de leur est fermée.

Cette décision nous semble difficilement contestable sur un plan juridique, l’exécution d’un bail n’étant pas assimilable aux activités de production, de distribution ou de services.

Elle pourrait néanmoins nourrir des regrets dès lors que :

  • Les dispositions de droit commun et celles de l’article L 442-6 I 2° ne sont pas identiques mais complémentaires :  
    •  L’article 1171 du code civil permet d’obtenir automatiquement l’élimination (par la sanction du « réputé non écrit ») d’une clause générant un déséquilibre significatif et le cas échéant d’engager la responsabilité de l’auteur de la clause ; 
    •  L’article L 442-6 du code de commerce permet d’engager en premier lieu la responsabilité d’un partenaire commercial, d’obtenir une indemnité ainsi qu’éventuellement la nullité de la clause abusive.  

  • Sur un plan économique,  les preneurs sont comparables aux commerçants partenaires de l’article L 442-6 du code de commerce. 

Certes, ils ne sont pas associés de leur bailleurs et vice versa. Cependant, leurs intérêts sont liés, notamment dans les centres commerciaux, dont l’attractivité dépend tant des opérations du propriétaire (marketing, travaux etc.…) que de l’activité des preneurs.  

En toute hypothèse, la décision commentée ne doit pas décourager les preneurs victimes de clauses déséquilibrées ou abusives.

La Cour de cassation ne les prive nullement de la possibilité d’agir sur le fondement du droit commun.

L’on ne peut donc qu’inviter les preneurs à utiliser l’arme du « déséquilibre significatif » pour résister aux effets secondaires de la loi Pinel, laquelle, en voulant trop les protéger, a conduit les bailleurs à « muscler » leurs conditions générales et ainsi élaborer des baux d’adhésion.


Il est en outre dans l’intérêt de toutes les parties que les preneurs se saisissent des dispositions de l’article 1171 du Code civil.

Leur fonction de rééquilibrage du contrat permettra de pérenniser les relations et profitera donc aux bailleurs.

Arrêt n° 171 du 15 février 2018 – Cour de cassation - Troisième chambre civile –
17-11.329 FS - P+B+I

 

Nos solutions

Le cabinet assiste les enseignes preneuses dans l’ensemble des contentieux liés à l’exécution ou à l’inexécution des baux commerciaux.


Vous venez de recevoir une assignation ou souhaitez assigner un bailleur, 

Contactez-nous