jeudi 14 novembre 2024
Concrètement, la « décapitalisation » est une pratique consistant à reconstituer des valeurs locatives issues de boutiques situées dans le voisinage, en ajoutant à ces loyers, une partie de la somme versée au bailleur lors de l’entrée dans les lieux du preneur (droit d’entrée/pas-de-porte) ou une partie du prix de cession/valeur du droit au bail lorsque le preneur vient aux droits d’un précédent exploitant.
La question qui se pose de longue date est la suivante : Lors de la fixation du prix du bail renouvelé (ou révisé), faut-il intégrer les pas-de-porte et les prix de cession, aux éléments de référence (les prix couramment pratiqués dans le voisinage selon les articles L. 145-33 et R. 145-7 du code de commerce).
Cette méthode oppose souvent les experts aux juridictions du fond, les bailleurs aux preneurs.
Pour mémoire, la Cour de cassation laisse le soin aux juridictions du fond, d’apprécier souverainement la méthode permettant de fixer la valeur locative des locaux donnés à bail, c’est-à-dire, avec ou sans procéder à une réintégration des pas-de-porte et des prix de cession afférents aux valeurs locatives pratiquées dans le voisinage (Cass. 3ème civ., 11 décembre 2012, n° 11–11466).
En dépit de quelques décisions dissidentes (Pour illustration : CA Versailles, 10 février 2022, n° 20/01646), la jurisprudence émanant des juridictions du fond apparait bien établie.
Pour la cour d’appel de Paris, si elle avait pu timidement, dans un arrêt du 27 juin 2007 (CA Paris, 27 juin 2007, Administrer novembre 2007, p. 32), accepter la pratique de la décapitalisation et de la réintégration des sommes versées en capital par le preneur en jugeant qu’il « n’est pas illégitime de décapitaliser la somme versée au titre de droit au bail ou de pas-de-porte pour apprécier la valeur locative réelle du local loué », il apparaît qu’elle a définitivement tranché la question en excluant la méthode consistant à réintégrer les droits d'entrée aux loyers pratiqués (CA Paris, 15 février 2012, n° 10/00757 ; CA Paris, 18 mars 2015, n° 13/04404 ; CA Paris, 28 février 2018, n° 16/10778).
Elle a de nouveau rappelé sa position dans une décision du 25 janvier 2023 (CA Paris, 25 janvier 2023, n° 20/17972).
Cette position est tout à fait fondée puisque le statut des baux commerciaux prévoit une méthode de fixation du loyer du bail renouvelé selon des critères bien définis, tels que posés aux articles L. 145-33 et R. 145-7 du code de commerce et ce, pour éviter que le loyer du bail renouvelé s’apparente à un prix de marché.
Les autres juridictions du fond adoptent, de manière pertinente, le même raisonnement (CA Rennes, 6 janv. 2010, RG n° 06/03680 ; CA Aix-en-Provence, 4 fév. 2010, RG 08/09644 ; CA Toulouse, 10 mars 2010, RG 08/04083 ; CA Douai, 20 mai 2010, RG 07/07272 ; CA Lyon 5 février 2015 n° 13/03008 ; CA Aix-en-Provence, 4 février 2016, RG 14/22089 ; CA Montpellier, 4 janvier 2022, n° 18/05663).
Certaines cours ont fait preuve d’une plus grande sévérité que d’autres.
On citera à titre d’illustration, la décision rendue par la cour d’appel de Toulouse, qui avait jugé dans un arrêt en date du 5 mars 2013 :
« S'agissant de la valeur locative par référence au loyer renouvelé, on relève tout d'abord qu'aucun des textes du Code de commerce, et notamment l'article R 145-7 du Code de commerce, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. Ensuite, la valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte n'a pas nécessairement la nature de supplément de loyer.
Pour tous ces motifs, la base de calcul de l'expert ne peut être retenue qu'en expurgeant la valeur de décapitalisation des droits au bail ou droits d'entrée » (CA Toulouse, 5 mars 2013, n° 11/03754).
La cour d’appel de Bordeaux avait quant à elle, dans une décision du 15 juin 2021, considéré que :
« Quant à la demande de prise en compte de la décapitalisation du coût d'acquisition des droits aux baux, la cour pas plus que le tribunal n'a à prendre en compte des considérations spéculatives instaurées dans l'intérêt fiscal du bailleur pour déterminer une valeur locative qui doit s'apprécier in concreto et non par rapport à la valeur du droit au bail qui, incluant en général des éléments de valorisation qui revêtent une valeur de stratégie de développement sans lien avec l'économie de loyer, n'a pas la qualité d'un complément de loyer. Le jugement qui a approuvé l'expert de ne pas avoir appliqué cette méthode sera donc confirmé » (CA Bordeaux, 15 juin 2021, n° 18/04394).
Il faut en effet rappeler que le but premier du statut des baux commerciaux est de protéger le locataire commercial, en lui permettant de renouveler son bail moyennant un loyer lui permettant de poursuivre sereinement son activité.
De surcroît, les loyers décapitalisés ne sont pas obtenus à partir de simples loyers de référence (prix pratiqués dans le voisinage), puisque le droit d'entrée ne constitue pas un supplément de loyer, mais une indemnisation du bailleur, ou encore un avantage que le preneur lui concède pour bénéficier de la propriété commerciale.
Quant à la valeur du droit au bail, elle constitue un élément du fonds de commerce et ne peut donc être transformée en loyer puis, artificiellement intégrée aux loyers payés couramment dans le voisinage.
Bien plus, le prix de cession n’est même pas perçu par le bailleur !
Dans sa décision en date du 25 juillet 2024, la cour d’appel de Lyon a alimenté ce courant jurisprudentiel en jugeant que :
« Sur les loyers décapitalisés
La cour relève qu'aucun des textes du code de commerce, et notamment l'article R. 145-7 de ce code, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. La valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte ne constitue pas un supplément de loyer. C'est pourquoi il convient d'écarter les loyers décapitalisés qui ne permettent pas de comparaisons utiles et de prendre en considération le seul loyer facial comme l'a fait l'expert ».
En suivant cette position jurisprudentielle, les preneurs à bail pourront bénéficier de loyers de renouvellement moins élevés !
CA Lyon, 25 juillet 2024, n° 20/06500
Décapitalisation des loyers d’un bail commercial : une nouvelle exclusion
La cour d’appel de Lyon a rendu un arrêt le 25 juillet 2024, confirmant la jurisprudence actuelle concernant la décapitalisation des loyers d’un bail commercial. Bien plus, cette juridiction confirme que les sommes versées au bailleur au titre de pas de porte ne constituent pas un supplément de loyer.
La cour d’appel de Lyon a rendu un arrêt le 25 juillet 2024, confirmant la jurisprudence actuelle concernant la décapitalisation des loyers de baux commerciaux.Concrètement, la « décapitalisation » est une pratique consistant à reconstituer des valeurs locatives issues de boutiques situées dans le voisinage, en ajoutant à ces loyers, une partie de la somme versée au bailleur lors de l’entrée dans les lieux du preneur (droit d’entrée/pas-de-porte) ou une partie du prix de cession/valeur du droit au bail lorsque le preneur vient aux droits d’un précédent exploitant.
La question qui se pose de longue date est la suivante : Lors de la fixation du prix du bail renouvelé (ou révisé), faut-il intégrer les pas-de-porte et les prix de cession, aux éléments de référence (les prix couramment pratiqués dans le voisinage selon les articles L. 145-33 et R. 145-7 du code de commerce).
Cette méthode oppose souvent les experts aux juridictions du fond, les bailleurs aux preneurs.
Pour mémoire, la Cour de cassation laisse le soin aux juridictions du fond, d’apprécier souverainement la méthode permettant de fixer la valeur locative des locaux donnés à bail, c’est-à-dire, avec ou sans procéder à une réintégration des pas-de-porte et des prix de cession afférents aux valeurs locatives pratiquées dans le voisinage (Cass. 3ème civ., 11 décembre 2012, n° 11–11466).
En dépit de quelques décisions dissidentes (Pour illustration : CA Versailles, 10 février 2022, n° 20/01646), la jurisprudence émanant des juridictions du fond apparait bien établie.
Pour la cour d’appel de Paris, si elle avait pu timidement, dans un arrêt du 27 juin 2007 (CA Paris, 27 juin 2007, Administrer novembre 2007, p. 32), accepter la pratique de la décapitalisation et de la réintégration des sommes versées en capital par le preneur en jugeant qu’il « n’est pas illégitime de décapitaliser la somme versée au titre de droit au bail ou de pas-de-porte pour apprécier la valeur locative réelle du local loué », il apparaît qu’elle a définitivement tranché la question en excluant la méthode consistant à réintégrer les droits d'entrée aux loyers pratiqués (CA Paris, 15 février 2012, n° 10/00757 ; CA Paris, 18 mars 2015, n° 13/04404 ; CA Paris, 28 février 2018, n° 16/10778).
Elle a de nouveau rappelé sa position dans une décision du 25 janvier 2023 (CA Paris, 25 janvier 2023, n° 20/17972).
Cette position est tout à fait fondée puisque le statut des baux commerciaux prévoit une méthode de fixation du loyer du bail renouvelé selon des critères bien définis, tels que posés aux articles L. 145-33 et R. 145-7 du code de commerce et ce, pour éviter que le loyer du bail renouvelé s’apparente à un prix de marché.
Les autres juridictions du fond adoptent, de manière pertinente, le même raisonnement (CA Rennes, 6 janv. 2010, RG n° 06/03680 ; CA Aix-en-Provence, 4 fév. 2010, RG 08/09644 ; CA Toulouse, 10 mars 2010, RG 08/04083 ; CA Douai, 20 mai 2010, RG 07/07272 ; CA Lyon 5 février 2015 n° 13/03008 ; CA Aix-en-Provence, 4 février 2016, RG 14/22089 ; CA Montpellier, 4 janvier 2022, n° 18/05663).
Certaines cours ont fait preuve d’une plus grande sévérité que d’autres.
On citera à titre d’illustration, la décision rendue par la cour d’appel de Toulouse, qui avait jugé dans un arrêt en date du 5 mars 2013 :
« S'agissant de la valeur locative par référence au loyer renouvelé, on relève tout d'abord qu'aucun des textes du Code de commerce, et notamment l'article R 145-7 du Code de commerce, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. Ensuite, la valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte n'a pas nécessairement la nature de supplément de loyer.
Pour tous ces motifs, la base de calcul de l'expert ne peut être retenue qu'en expurgeant la valeur de décapitalisation des droits au bail ou droits d'entrée » (CA Toulouse, 5 mars 2013, n° 11/03754).
La cour d’appel de Bordeaux avait quant à elle, dans une décision du 15 juin 2021, considéré que :
« Quant à la demande de prise en compte de la décapitalisation du coût d'acquisition des droits aux baux, la cour pas plus que le tribunal n'a à prendre en compte des considérations spéculatives instaurées dans l'intérêt fiscal du bailleur pour déterminer une valeur locative qui doit s'apprécier in concreto et non par rapport à la valeur du droit au bail qui, incluant en général des éléments de valorisation qui revêtent une valeur de stratégie de développement sans lien avec l'économie de loyer, n'a pas la qualité d'un complément de loyer. Le jugement qui a approuvé l'expert de ne pas avoir appliqué cette méthode sera donc confirmé » (CA Bordeaux, 15 juin 2021, n° 18/04394).
Il faut en effet rappeler que le but premier du statut des baux commerciaux est de protéger le locataire commercial, en lui permettant de renouveler son bail moyennant un loyer lui permettant de poursuivre sereinement son activité.
De surcroît, les loyers décapitalisés ne sont pas obtenus à partir de simples loyers de référence (prix pratiqués dans le voisinage), puisque le droit d'entrée ne constitue pas un supplément de loyer, mais une indemnisation du bailleur, ou encore un avantage que le preneur lui concède pour bénéficier de la propriété commerciale.
Quant à la valeur du droit au bail, elle constitue un élément du fonds de commerce et ne peut donc être transformée en loyer puis, artificiellement intégrée aux loyers payés couramment dans le voisinage.
Bien plus, le prix de cession n’est même pas perçu par le bailleur !
Dans sa décision en date du 25 juillet 2024, la cour d’appel de Lyon a alimenté ce courant jurisprudentiel en jugeant que :
« Sur les loyers décapitalisés
La cour relève qu'aucun des textes du code de commerce, et notamment l'article R. 145-7 de ce code, ne fait référence, dans la notion de prix couramment pratiqués, aux sommes versées à titre de pas de porte, droit d'entrée ou de droit au bail. La valeur locative ne peut intégrer des sommes payées par le locataire à un tiers, comme l'est le droit au bail, versé au précédent locataire. Enfin, une somme versée au bailleur à titre de pas de porte ne constitue pas un supplément de loyer. C'est pourquoi il convient d'écarter les loyers décapitalisés qui ne permettent pas de comparaisons utiles et de prendre en considération le seul loyer facial comme l'a fait l'expert ».
En suivant cette position jurisprudentielle, les preneurs à bail pourront bénéficier de loyers de renouvellement moins élevés !
CA Lyon, 25 juillet 2024, n° 20/06500
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