La contrefaçon d’un « Fait d’Hiver »
La décision récente du Tribunal de Grande Instance de Paris rendue dans le cadre d’une affaire de contrefaçon concernant l’artiste Jeff Koons est l’occasion de rappeler quelques principes utiles en matière de droits d’auteur.
Ce litige oppose un directeur artistique qui revendique des droits d’auteur sur le visuel d’une publicité réalisée en 1985 pour la marque Naf Naf sous le titre « Fait d’Hiver »et, notamment, le sculpteur Jeff Koons. Le premier accusait le second d’avoir contrefait son œuvre dans une sculpture qui avait été exposée au Centre Pompidou en 2014.
La publicité représentait une jeune femme, brune aux cheveux courts, allongée dans la neige avec un petit cochon penché au-dessus d’elle et portant autour du cou un tonneau de Saint-Bernard.
La décision rendue permet de rappeler certains principes pouvant s’appliquer à toute œuvre utilisée par des enseignes, qu’il s’agisse d’un logo, d’un dessin, d’une photographie ou de sculptures notamment, que celles-ci soient utilisées dans les points de vente, les supports de communication ou dans des publicités.
En premier lieu le Tribunal se prononce sur la titularité des droits d’auteur. Pour rappel, le principe est qu’une œuvre est présumée appartenir, « sauf preuve contraire, à celui sous le nom duquel l’œuvre est divulguée » (art. L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle). Cette présomption en joue que pour les personnes physiques. Une personne morale ne peut être titulaire, ab initio, d’une œuvre que s’il s’agit d’une œuvre collective. Les défendeurs soutenaient donc que l’œuvre en question était une œuvre collective qui appartiendrait à la société Naf Naf et non pas au demandeur. Une œuvre collective implique qu’elle soit élaborée à l’initiative d’une seule personne qui va en assumer la direction, l’édition, la publication et la divulgation, sous son nom. Cela implique également que l’œuvre soit le résultat de la contribution de différents auteurs, chaque contribution devant se fondre dans l’ensemble. En l’occurrence, si l’entreprise avait bien commandé l’œuvre elle n’avait donné aucune directive. Le photographe confirmait par ailleurs avoir photographié la mise en scène faite par le demandeur. Le Tribunal rejette donc la qualification d’œuvre collective. Il retient celle d’œuvre de collaboration, à savoir une œuvre à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques, chacune pouvant agir seule dès lors que sa contribution à l’œuvre est individualisable et que les autres auteurs ont été mis en cause, ce qui était le cas ici.
Les défendeurs prétendaient ensuite que les droits de l’auteur auraient été cédés à la société Naf Naf, la relation entre les deux relevant du contrat type entre annonceurs et agents de publicité, qui prévoit le transfert des droits à l’annonceur. Toutefois, rien dans les faits de l’espèce ne permettait de démontrer que l’auteur avait agi en qualité d’agent, ni même simplement qu’une agence de publicité était intervenue pour cette création.
Les défendeurs soutenaient ensuite que l’action de l’auteur serait prescrite, l’œuvre datant de 1988 et une précédente exposition de cette œuvre ayant eu lieu en France en 1995. Ils prétendaient qu’il devait connaitre l’existence de l’œuvre depuis cette date. Rappelons que la prescription en matière de contrefaçon est de cinq ans. Or, les circonstances de cette précédente exposition, faisaient qu’il n’était pas possible de considérer que l’auteur de la publicité aurait dû connaitre l’existence de la contrefaçon dès le mois de septembre 1995. Le demandeur reconnaissant avoir eu connaissance de l’existence de l’œuvre en 2011 pour la première fois, l’action n’était pas prescrite en 2015 lorsqu’il a délivré son assignation.
Ensuite le Tribunal considère que l’auteur « décrit suffisamment les contours de son œuvre, les choix qu’il a opérés et leur combinaison procédant de décisions arbitraires qu’aucune circonstance n’imposaient spécialement. » Il est en effet nécessaire à celui qui prétend être l’auteur d’une œuvre de « définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue », cette originalité étant elle-même une condition pour qu’une œuvre soit protégée au titre des droits d’auteurs.
Le Tribunal s’est ensuite penché sur la question de la contrefaçon en elle-même, en comparant les deux œuvres. Il rappelle que le juge doit statuer en fonction des ressemblances et non pas des différences. Après avoir relevé les différences existant entre les deux œuvres, il considère « qu’à l’exception de ces différences minimes, la mise en scène très reconnaissable de la photographie est la même ». Il caractérise ensuite les éléments de ressemblances.
Il pourra être noté que le Tribunal précise que si la qualité d’œuvre de la sculpture ne peut pas être déniée, et à tout le moins celle d’œuvre composite, « l’adaptation de la photographie ne pouvait se faire qu’avec l’accord de son auteur, conformément aux dispositions de l’article L.113-4 du Code de la propriété intellectuelle ».
Le Tribunal rejette par ailleurs l’exception de parodie ainsi que le moyen de défense tiré de la liberté d’expression, soulevés par les défendeurs.
Enfin il sera relevé que le Centre Georges Pompidou est également condamné pour les « faits de reproduction d’une œuvre contrefaisante qui, indépendamment de la bonne foi, caractérisent des actes de contrefaçon ». Il n’y a donc pas de nécessité de démontrer que celui qui reproduit une œuvre contrefaisante avait connaissance de cette contrefaçon.
Au-delà des principes précédemment rappelés, il est donc essentiel pour les enseignes, non seulement de sécuriser leurs droits d’auteur en obtenant des créateurs qu’elles sollicitent des cessions de droits valides et adaptées à l’usage qu’elles feront de l’œuvre, mais également d’obtenir des engagements de leur part sur l’absence de contrefaçon et sur les conséquences éventuelles d’une éventuelle condamnation en contrefaçon qui serait prononcée au bénéfice d’un tiers.
TGI Paris, 8 nov. 2018, n°15/02536
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