Portée du droit au maintien dans les lieux
jeudi 21 novembre 2024

Portée du droit au maintien dans les lieux

La Haute juridiction donne une nouvelle illustration du droit au maintien dans les lieux du locataire commercial, à la suite d’un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction. Le bailleur doit continuer à exécuter les clauses et conditions du bail expiré.

Dans un arrêt rendu en date du 16 mai 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler l’efficacité des dispositions du premier alinéa de l’article L. 145-28 du code commerce.

Celui-ci prévoit que :
« Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation ».

Ce texte est l’un des piliers du statut des baux commerciaux, permettant au preneur à bail de se maintenir dans les locaux loués, tant que le bailleur ne lui a pas versé l’indemnité d’éviction.
Cela étant, certains bailleurs sont tentés de se dire que compte tenu du départ « imminent » de leur locataire, ils ne sont pas tenus de respecter leurs obligations contractuelles, et notamment de procéder aux réparations nécessaires, relevant souvent de leur obligation de délivrance.

Toutefois, cette analyse ne peut tenir au regard du statut des baux commerciaux, puisque la propriété commerciale doit permettre au preneur d’exploiter les locaux loués paisiblement, jusqu’à son départ.
En l’espèce, la cour d’appel de Riom avait limité à une certaine somme le montant des dommages-intérêts alloués au preneur, en réparation du préjudice causé par les manquements de la bailleresse, en retenant que le locataire était occupant sans droit ni titre par l'effet du congé ayant mis fin au bail, de sorte qu'il ne pouvait plus prétendre, depuis cette date, aux droits qu'il tirait de ce bail, et qu’en conséquence, le préjudice économique dont il pouvait obtenir réparation par suite des fautes de la bailleresse avait pris fin avec le bail.
La Haute juridiction a donc dû censurer cette décision, en jugeant que :
« En statuant ainsi, alors que la locataire se maintenait dans les lieux, en vertu du titre qu'elle tenait de l'article L. 145-28 du code de commerce, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction, la cour d'appel a violé l'article L. 145-28 du code de commerce ».

C’est dire que le bailleur est tenu, en dépit du terme contractuel du bail, de respecter son obligation de délivrance.
Cette solution n’est pas nouvelle. 

En effet, la jurisprudence considère que dans la mesure où, durant la période de maintien dans les lieux du locataire, les clauses du bail demeurent applicables, ce dernier peut demander la condamnation du bailleur à effectuer des travaux de remise en état des lieux loués (Cass. 3ème civ., 24 mars 1993, AJPI 1994, p. 39 ; CA Montpellier, 1re ch. D, 19 septembre 2000, Loyers et copropriété 2001, comm. 148 ; CA Dijon, 7 février 2019, n° 17/01785).

C’est pourquoi certains auteurs attribuent à cette période de maintien dans les lieux, la qualification de « bail fantôme » ou de « bail résiduel ». Le bail a pris fin, mais ses conditions et clauses continuent de s’appliquer.
Cet arrêt peut être rapproché d’une précédente décision rendue par la même chambre de la Haute juridiction, par laquelle il avait été jugé que :

« En statuant ainsi, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer, la cour d'appel a violé les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce » (Cass. 3ème civ., 25 janvier 2023, n° 21-19.089).

Il faut néanmoins que les locataires gardent en mémoire qu’une telle solution n’est pas unilatérale. 

Si le bailleur doit respecter les conditions et clauses du bail expiré pendant la période de maintien dans les lieux, cela s’applique également au locataire.

A défaut, il risque la résiliation de son « bail résiduel » ou encore la rétractation de son droit à indemnité d’éviction, ce qui le privera de percevoir ladite indemnité (Cass., 3ème civ., 29 juin 2005, n° 04-11397 ; Cass., 3ème civ., 30 septembre 2009, n° 08-18209).

La Cour de cassation a même jugé, dans un arrêt du 5 octobre 2017, que le locataire pouvait perdre son droit à l’indemnité d’éviction, peu important qu’il ait quitté les lieux en cours d’instance :

« Qu’en statuant ainsi, alors que la faute du locataire, qui se maintient dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré dans l’attente du paiement de l’indemnité d’éviction, peut être sanctionnée par la résiliation du bail et entraîner la déchéance de son droit au paiement de cette indemnité, peu important que le preneur ait quitté les lieux en cours d’instance » (Cass. 3ème civ., 5 octobre 2017, n° 16-21977).

La prudence est de mise !

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 mai 2024, 22-22.906

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