Appréciation stricte de l’exclusivité territoriale accordée à un franchisé.
jeudi 21 novembre 2024

Appréciation stricte de l’exclusivité territoriale accordée à un franchisé.

L’ouverture d’un point de service Speedy, à proximité d’un point de service appartenant par un franchisé ne peut être considérée comme une manœuvre déloyale du franchiseur, si cette nouvelle enseigne se situe en dehors de la zone de chalandise concernée par l’exclusivité stipulée au contrat de franchise. Cette exclusivité doit être appréciée strictement. 

Le 12 octobre 2023, la Cour d’appel de Versailles a tranché un litige entre un franchisé Speedy et le franchiseur Speedy France concernant la responsabilité de ce dernier dans l'installation d'un nouveau point de vente à proximité immédiate du point de vente du franchisé malgré l’existence d’une exclusivité territoriale au profit du franchisé. 

En substance, ce litige pose la question de l’étendue du devoir de loyauté du franchiseur dans la mise en œuvre de son obligation d'information précontractuelle et dans le cadre de l’exécution du contrat de franchise

En l’espèce, un contrat de franchise a été signé entre les parties à la suite de la transmission d’un DIP.  

Ce DIP comportait une annexe intitulée « étude de potentiel d’une implantation exclusive » concernant une zone de chalandise plus vaste que celle concédée en exclusivité au franchisé par le contrat de franchise. Cette étude contenait des données concernant le potentiel de chiffre d’affaires sur la zone présentée. 

Du fait de l’installation d’un concurrent à proximité de son point de vente, le chiffre d’affaires réalisé par le franchisé s’est révélé inférieur aux prévisions contenues dans l’étude de potentiel. 

Le franchisé a donc assigné le franchiseur en lui reprochant d'avoir violé ses obligations précontractuelle et contractuelles en autorisant l'implantation d'un concurrent dans sa zone de chalandise exclusive

Sur le plan contractuel, la Cour d’appel de Versailles considère que le contrat était sans ambiguïté sur la limitation du périmètre de l’exclusivité. En l’espèce, le nouveau point de vente speedy n’était pas situé sur la zone d’exclusivité stipulée dans le contrat. Par conséquent, le franchiseur n’était contractuellement pas empêché d’ouvrir ce nouveau point de vente situé dans une commune voisine. Ainsi, le franchiseur n’a donc pas violé ses obligations contractuelles. 

Nous vous rappelons qu’il est de jurisprudence constante que l’exclusivité territoriale, en ce qu’elle restreint la liberté du commerce, doit être interprétée strictement.  

Afin de bien en saisir la portée, les clauses d’exclusivité territoriale doivent donc être rédigées de façon claire et précise. 

Sur le plan précontractuel, la question de l’impact du contenu de l’étude de potentiel fournie au franchisé lors de la phase précontractuelle s’est ensuite posée.  

A ce sujet, le franchisé soutient que le franchiseur lui aurait laissé croire qu’il bénéficierait d’une exclusivité territoriale équivalente à la zone étendue faisant l’objet de l’étude de potentiel. 

Il estime ainsi avoir été trompé sur l’étendue réelle de la zone de chalandise concernée par l’exclusivité territoriale au regard de l’étude de potentiel fournie par le franchiseur lors de la phase précontractuelle et donc sur le potentiel de son point de vente. 

Afin d’en juger, la Cour d’appel se fonde sur la lettre de l’article R.330-1 du code de commerce selon lequel le DIP doit contenir « une présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ».  

La Cour estime que le marché qui doit être présenté peut être plus large que celui concerné par l’exclusivité territoriale. La raison est la suivante : en stipulant une exclusivité territoriale, seul le franchiseur a restreint sa liberté commerciale. De son côté, le franchisé est tout à fait libre de déployer ses efforts au-delà de ce périmètre. Le franchiseur pouvait donc présenter une zone plus large afin d’offrir de la visibilité au candidat sur son potentiel de développement.  

En l’espèce, la Cour d’appel estime qu’il ne résulte ni de l’examen du DIP ni de l’étude transmise par le franchiseur que ce dernier aurait laissé espérer, promis ou offert au franchisé une protection territoriale exclusive au sens du contrat de franchise correspondant à l’ensemble de la zone géographique visée dans l’étude de potentiel. 

La Cour d’appel a, par ailleurs, relever que le franchisé est expérimenté puisqu’il exploite déjà depuis plusieurs années deux autres points de vente Speedy situés dans la même région. Dans ce cadre, il avait déjà pu constater un décalage entre les zones d’exclusivité et le périmètre des études fournies concernant ces deux points de vente. 

La Cour d’appel a donc considéré que le franchiseur n’avait pas violé ses obligations précontractuelles. 

Pour finir, nous souhaitons attirer votre attention sur les points suivants :  

- Cette solution nous semble spécifique aux hypothèses dans lesquelles les contrats et documents transmis aux franchisés sont rédigées clairement et sans aucune ambiguïté. Sa portée doit donc être relativisée. 
En effet, la solution serait probablement autre si la zone présentée empiétait sur la zone d’exclusivité d’un autre franchisé. Auquel cas, en pratique, le potentiel de développement du candidat sur cette zone étendue serait nul et la présentation de cette zone dans un document intitulé « étude de potentiel » pourrait être considérée comme trompeuse. Sauf à s’exposer à un risque d’annulation du contrat de franchise pour vice du consentement, cette pratique doit donc être maniée avec une grande prudence.  

- Par ailleurs, nous vous rappelons que la fourniture de prévisionnels de chiffres d’affaires est déconseillée. Il s’agit d’une source importante de contentieux et peut entrainer la nullité du contrat de franchise. Nous vous renvoyons pour plus de précision à la lecture de nos différents articles sur le sujet. 

(Cour d’appel de Versailles, 12 octobre 2023)

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