« clause recette » : un avenir compromis
vendredi 17 mars 2023

« clause recette » : un avenir compromis

Au regard de l’évolution de la jurisprudence, on peut légitimement s’interroger sur l’avenir des « clauses recette », souvent insérées dans les baux situés en centres commerciaux : pourront-elles être maintenues alors même qu’elles empêchent la révision du loyer, mécanisme d’ordre public ?

Dans le cadre des relations contractuelles, la question du montant du loyer du bail révisé ou renouvelé est primordiale.

Fixation du loyer du bail renouvelé : la clause recette s’applique en vertu de la force obligatoire du contrat

Dans le cadre du statut des baux commerciaux, les dispositions relatives à la fixation du loyer du bail renouvelé ne sont pas d’ordre public, puisqu’elles ne sont pas visées par les articles L. 145-15 et L. 145-16 du code de commerce, la jurisprudence n’ayant pas encore posé de limites.

En revanche, les dispositions relatives à la fixation du loyer du bail révisé le sont, les articles L. 145-38 et L. 145-39 du code de commerce étant visées par l’article L.145-15.

Dans les centres commerciaux, de nombreux baux comportent un « loyer binaire », autrement dit « clause recette ».

Cette clause permet de déterminer le montant du loyer en fonction du chiffre d’affaires réalisé par le locataire. 

En pratique, le loyer est composé d’une « partie fixe », appelé également « minimum garanti », et d’une « partie variable » calculée sur le résultat du preneur. Parfois, cette « partie variable » ne se déclenche qu’à partir d’un certain seuil de chiffre d’affaires du locataire.

Pour rappeler brièvement les péripéties de cette « clause recette », nous citerons trois décisions de la Cour de cassation amplement commentées, concernant la fixation du prix du bail renouvelé.

En premier lieu, il convient de citer le fameux arrêt « Théâtre Saint-Georges », par lequel la Haute juridiction a jugé que : 

« La fixation du loyer renouvelé d'un tel bail échappe aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n'est régie que par la convention des parties » (Cass., 3ème civ., 10 mars 1993, n° 91-13.418).

Au regard de cette décision, les bailleurs intégrèrent dans leurs baux, une clause donnant compétence juge des loyers commerciaux pour déterminer le loyer fixe lors du renouvellement du bail.

Cette pratique fût validée par la Haute juridiction, qui, par deux arrêts en date du 3 novembre 2016, posa l’attendu de principe suivant :

 « Attendu que la stipulation selon laquelle le loyer d'un bail commercial est composé d'un loyer minimum et d'un loyer calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ; que le juge statue alors selon les critères de l'article L. 145-33 précité, notamment au regard de l'obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l'abattement qui en découle » (Cass. 3ème civ. 3 nov. 2016, n° 15-16826 et 15-16827).

Elle confirmait peu ou prou sa position le 29 novembre 2018, en jugeant que :

« La stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur, sans pouvoir être inférieur à un minimum équivalent à la valeur locative des lieux loués, n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer, lors du renouvellement, la valeur locative déterminant le minimum garanti » (Cass. 3ème civ., 9 novembre 2018, n° 17-27.798).

Si ces arrêts sont bien évidemment discutables, ils sont, à tout le moins, justifiés par la force obligatoire du contrat, à savoir par l’ancien article 1134 du code civil, devenu 1103 du code civil, puisque aucune disposition d’ordre public ne régit la fixation du prix du bail renouvelé.

Révision du loyer à la valeur locative en cours de bail : la clause recette se heurte à une disposition d’ordre public.

En revanche, il en va différemment pour la révision du loyer en cours de bail, ces dispositions étant d’ordre public.

Aux termes des articles L. 145-38 et L. 145-39 du commerce, la révision du loyer à la valeur locative en cours de bail peut être obtenu, soit par la révision triennale, lorsque la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative est rapportée, soit lorsque le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, et que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.

Comment concilier la portée de ces textes d’ordre public avec la « clause recette », puisque justement, pour le renouvellement du bail, la jurisprudence considère que la fixation du loyer minimum renouvelé d'un tel bail échappe aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n'est régie que par la convention des parties, et encore faut-il que les parties aient donné compétence au juge pour fixer le loyer.

En matière de révision, la jurisprudence n’est guère satisfaisante. Elle n’est pas plus innovante.

Que ce soit en matière de révision triennale ou de variation de plus de 25 % du loyer, la Haute juridiction a pu statuer ainsi :

« La révision d'un loyer comprenant une partie fixe et une partie constituée par un pourcentage du chiffre d'affaires du preneur échappe aux dispositions de ce décret et n'est régie que par la convention des parties » (Cass., 3ème civ., 15 mai 1991, n° 89-20.847).

« La fixation du loyer révisé d'un bail stipulant un loyer binaire n'était régie que par la convention des parties et échappait aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux » (Cass., 3ème civ., 5 mars 2013, 11-28.461).

Dans cette dernière affaire, le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d'appel était pourtant parfaitement motivé. 

Il lui était fait grief d’avoir validé cette clause en dépit des articles L. 145-15 et L. 145-39 du code de commerce.

La Cour de Cassation fait prévaloir la convention des parties en cas de révision, au détriment des dispositions d’ordre public.

Il n’en demeure pas moins que la Cour de cassation a affirmé le même principe dans le cadre de la révision du loyer, que dans le cadre du renouvellement du bail.

Pour ce faire, elle s’est fondée sur la « convention des parties », appliquant ainsi l’article 1134 (devenu 1103) du code civil, au détriment de la force et de la spécificité de l’article L. 145 - 39 du code de commerce, dispositions d’ordre public.

Pourquoi n’a-t-elle pas fait application de l’adage « specialia generalibus derogant » ?

En effet, de longue date, les lois spéciales dérogent aux lois générales.

C’est d’ailleurs précisément ce que prévoit (ou rappelle) le nouvel article 1105 du code civil (et notamment son alinéa 3) :

« Les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent sous-titre.

Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux.

Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières ».

Il semble alors que la Cour de cassation fasse état d’une certaine incohérence :

Si un « loyer binaire » permet d’échapper aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux, comment peut-elle être acceptée, si elle contrevient, en empêchant la révision légale, à des dispositions d’ordre public ?

Le bail commercial reste un bail commercial, quand bien même serait stipulé une clause de « loyer binaire ».

On ne saurait pas plus insérer dans le contrat une clause permettant au juge de fixer le loyer du bail révisé, puisqu’il s’agit de l’essence même du statut des baux commerciaux, en tant que disposition d’ordre public.

On ne saurait pas plus piocher dans la convention des parties, certaines dispositions qui feraient perdre la nature même du contrat.

Loyer binaire : les dispositions d’ordre public liées à la révision doivent prévaloir sur la convention des parties 

Le statut du bail commercial doit s’appliquer, et notamment les dispositions d’ordre public.

D’autant plus que l’on s’aperçoit que la jurisprudence, depuis la loi Pinel, ne cesse d’ériger en mesures d’ordre public, des dispositions qui ne l’étaient pas par la loi.

On pensera notamment :

à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, instaurant le droit de préemption (Cass., 3ème civ., 28 juin 2018 n°17-14.605) ;
à la limitation dans le temps de la garantie solidaire en cas de cession (Cass., 3ème civ., 11 avril 2019, n°18-16.121).

Rappelons en outre l’arrêt de principe concernant la résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l'exploitant d'une résidence de tourisme, rendu le 9 février 2017, dans lequel il a été jugé, par une certaine « pirouette », que l'article L. 145-7-1 du Code de commerce était d'ordre public et qu’en conséquence, il s'appliquait aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur :

« Vu l'article L. 145-7-1 du code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, ensemble l'article 2 du code civil ;
Attendu que l'article L. 145-7-1 précité, d'ordre public, s'applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur » (Cass., 3ème civ., 9 février 2017, 16-10.350).

La Haute juridiction n’a pas de mal à donner le caractère d’ordre public aux dispositions qu’elle choisit.

Enfin, il est particulièrement intéressant de rappeler l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 juin 2003, qui fût d’ailleurs publié au Bulletin des arrêts.

Par cette décision, la Haute juridiction a permis au bailleur d’exercer son droit d’option, faculté offerte par l'article L. 145-57 du code de commerce, à savoir refuser le renouvellement du bail après l’avoir offert, alors même que le bail stipulait un loyer binaire :

« Qu'en statuant ainsi, alors que le bailleur a toujours la faculté, en cas de désaccord sur le prix du bail, de refuser le renouvellement du bail dans les conditions de l'article L. 145-57 du Code de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé » (Cass., 3ème civ., 12 juin 2003, n° 02-11.493).

On peut alors se demander comment la Haute juridiction a pu appliquer une disposition spécifique du statut des baux commerciaux, à une pratique (loyer binaire) qui, selon elle, échappe justement aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux.

Encore faut-il préciser que selon la juridiction bordelaise, ce droit d’option n’est pas une disposition d’ordre public (TGI Bordeaux, 7 novembre 2019, n° 19/06826).

Rappelons encore qu’elle a, au visa de l’article L. 145-39 du code de commerce, jugé qu’une clause d'indexation ne variant qu’à la hausse devait être réputée non écrite.

Pour ce faire, elle a précisément visé l’article L. 145-39 du code de commerce :

« La cour d'appel a relevé que la clause d'indexation excluait toute réciprocité de la variation en prévoyant que l'indexation ne s'effectuerait que dans l'hypothèse d'une variation à la hausse de l'indice.

Il s'ensuit que cette stipulation, qui a pour effet de faire échec au mécanisme de révision légale prévu par l'article L. 145-39 du code de commerce, doit être réputée non écrite » (Cass., 3ème civ., 1er juin 2022, n° 20-17.691).

La force obligatoire issue de la convention des parties est aujourd’hui atténuée par l’ordre public, et fort heureusement.

Il y a ainsi un vrai revirement entre l’arrêt du 5 mars 2013 précité, par lequel il a été jugé que « La fixation du loyer révisé d'un bail stipulant un loyer binaire n'était régie que par la convention des parties et échappait aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux », et l’arrêt du 1er juin 2022, réputant non-écrite la clause d’indexation ne variant qu’à la hausse, puisque tous deux ont statué au visa de l’article L. 145-39 du code de commerce.

Un petit pas pour la jurisprudence, un grand pas pour les locataires.

En définitive, au regard de l’évolution du droit des obligations et de la jurisprudence, on peut légitimement s’interroger sur le devenir de ces « clauses recette » puisque la jurisprudence a pris le parti de sanctionner systématiquement les clauses contrevenant à l’ordre public.

Rappelons d’ailleurs qu’il y a encore moins de dix ans, les juridictions du fond, et notamment la cour d’appel de Paris, validaient les clauses d’indexation ne variant qu’à la hausse et ce, même au visa de l'article L. 145-39 du code de commerce (CA Aix-en-Provence, 15 mars 2013, RG n° 2013/150 ; CA Paris, 5-3, 28 mai 2014, RG n° 12/13605), ce qui est dorénavant, définitivement sanctionné par la Haute juridiction (Cass., 3ème civ., 1er juin 2022, arrêt précité).

En définitive, la jurisprudence doit prendre position : Soit elle doit considérer que la clause de loyer binaire n’échappe pas aux dispositions régissant le statut des baux commerciaux, permettant ainsi au juge de fixer tant le prix du bail renouvelé, que le prix du bail révisé, soit elle doit réputer non-écrite la clause de loyer variable, pour permettre aux parties de pratiquer la révision du loyer en cours de bail, disposition d’ordre public.

Nicolas Pchibich 

Avocat Associé 


  

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