Clientèle, enseigne et stocks : la distinction entre location-gérance et sous-bail commercial peut coûter cher au preneur !
Même activité ne veut pas nécessairement dire même clientèle ! La distinction entre location-gérance et sous-bail commercial est parfois ténue et la requalification peut justifier une résiliation du bail commercial aux torts exclusifs du locataire.
Le bailleur a donné à bail un local commercial à la société Sea Side, laquelle a conclu un contrat de location-gérance avec la société Studio Louis exploitant auparavant une activité identique (vente d’articles de confection) dans le local voisin.
Considérant qu’il s’agissait en réalité d’une sous-location conclue au mépris de ses droits (la sous-location aurait nécessité son accord exprès), le bailleur a saisi le juge d’une part, en requalification du contrat de location gérance en sous-location et d’autre part, en résiliation du contrat de bail commercial principal aux torts exclusif du locataire. Il est à noter que le locataire principal versait au bailleur un loyer 4 fois inférieur à la redevance qu’il percevait lui-même du contrat de location-gérance…
En l’espèce, le contrat de location-gérance excluait expressément la reprise du stock par le locataire-gérant. En outre, celui-ci n’avait pas repris l’enseigne du bailleur de fonds et avait au contraire continué à vendre ses articles sous sa propre enseigne.
Afin de défendre la qualification de location-gérance, le preneur à bail commercial principal faisait valoir deux arguments :
- Concernant les stocks, il soutenait que leur reprise par le locataire-gérant n’est pas une condition édictée à l’article L. 144-1 du code de commerce ;
- Quant au changement d’enseigne, il soutenait qu’un fonds de commerce peut exister indépendamment de son mode d’exploitation ou de son enseigne, par le seul fait de son implantation, en l’espèce un quartier de st Tropez attirant une clientèle saisonnière de passage attirée en ce lieu uniquement par son implantation et non par l’enseigne.
La Cour de Cassation a rejeté ces arguments et, confirmant la Cour d’appel, a jugé :
- qu’il ressortait des pièces versées aux débats que « la société Studio Louis avait exploité son propre fonds de commerce de vente de vêtements dans la même station balnéaire (…) avant de s’installer dans les locaux (…) sous sa propre enseigne Nuna, en apportant sa propre clientèle tropézienne »
- qu’en conséquence, la Cour d’appel n’avait pas ajouté à la loi une condition non prévue et avait pu déduire des éléments de l’espèce que « en l’absence de réalité des éléments essentiels du fonds de commerce de la société Sea Side, la location-gérance à la société Studio Louis constituait une sous-location des murs dont elle avait la jouissance ».
La sous-location n’ayant pas été autorisée par le bailleur, la Cour a donc confirmé la décision d’appel qui avait fait droit à sa demande de résiliation du bail principal aux torts exclusifs du preneur, donc sans indemnité d’éviction.
De notre point de vue, ni la non-reprise du stock, ni le changement d’enseigne ne constituent en tant que tels des éléments permettant d’exclure la qualification de location-gérance.
Ils constituent plutôt un faisceau d’indices auxquels s’ajoute en l’espèce le fait que le prétendu locataire-gérant disposait d’une clientèle propre qui a pu aisément suivre compte tenu de la proximité directe du nouveau local, développée sous une enseigne qu’il a apportée dans sa nouvelle exploitation.
C’est ce faisceau d’indice qui permet à la Cour de déduire que celui-ci n’a pas repris la clientèle du bailleur de fonds mais a continué d’exploiter la clientèle qu’il avait déjà. Et c’est là le critère déterminant de qualification du contrat : la clientèle exploitée. Si le nouvel exploitant n’exploite pas, dans les faits, la clientèle du bailleur de fonds, il ne s’agit pas d’une location-gérance mais d’une sous-location.
A noter que dans une affaire précédente, la Cour d’appel de Pau avait considéré que la modification du mode d’exploitation (adjonction d’activité) d’un fonds attirant des touristes chalands (en l’espèce des pèlerins de Lourdes) n’excluait pas nécessairement la qualification de location-gérance dès lors que la clientèle était la même. La Cour avait en effet considéré que l’activité de confiserie adjointe à celle de vente de souvenirs par le locataire-gérant « a de toute évidence la même clientèle que celle exploitée antérieurement par Mme A., cette clientèle étant composée essentiellement sinon exclusivement de pèlerins et de touristes » (CA Pau, 19 février 2008 n°05/02646).
Cass. com 3e, 7 juillet 2016, n°15-16101
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