Le contrôle du prix déséquilibré se passe désormais de la condition de soumission
Tout accord commercial pourrait être remis en cause sur le fondement du déséquilibre significatif, sans condition de soumission, depuis l’adoption de l’ordonnance du 24 avril 2019. Il en résulte une grande insécurité juridique.
Le 1° de l’ancien article L.442-6, I du code de commerce, incriminait la pratique restrictive qui consistait à obtenir ou tenter d’obtenir d’un partenaire commercial, un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.
Dans le texte adopté au terme de l’ordonnance du 24 avril 2019, est incriminé comme pratique restrictive, le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie.
C’est un véritable déséquilibre significatif sans preuve de soumission qui est instauré ici. Ce 1° ne s’imposait absolument pas dans un souci de simplification ; le maintien du 1° ne s’imposait pas à partir du moment où le déséquilibre significatif s’appliquait au prix depuis la jurisprudence Galec de la cour de cassation et depuis la décision du 30 novembre 2018 du conseil constitutionnel.
On n’avait donc plus besoin du 1° de l’ancien article L.442-6. Tout service sans contrepartie ou toute remise ou ristourne sans contrepartie, relevait du déséquilibre significatif. Pourtant, le gouvernement maintient ce texte et même en élargit considérablement le champ d’application.
Dans le texte ancien, l’article L.442-6, I 1° était limité aux services. Cela est élargi des services à tout avantage sans contrepartie ou avec une contrepartie disproportionnée.
Le rapport au Président de la République explique cela de la manière suivante : l’actuelle rédaction peut être interprétée comme limitant le champ d’application de cette pratique aux accords de coopération commerciale. La suppression des termes service commercial effectivement rendu est donc pertinente. Il s’agit donc de permettre le contrôle du ministre en dehors de la coopération commerciale à tout accord commercial.
Dans le droit antérieur, le texte visait les services. Seule la coopération commerciale était visée. Puis tous les services. Puis s’est posée la question des ristournes ou des réductions de prix qui ne reposaient pas sur un service. Et la CEPC avait admis que le 1° s’appliquait.
Le 13 septembre 2017, la cour d’appel de Paris avait admis que l’ancien texte ne s’appliquait pas qu’aux marges arrière mais pouvait s’appliquer aux réductions de prix. La lettre du texte visait un avantage quelconque ou un service commercial sans précision. Le législateur visait une coopération commerciale fictive c’est-à-dire sans contrepartie réelle. Mais cela n’avait pas été entériné par la cour de cassation. Pour cette dernière, les RFA restaient passibles du 2° c’est-à-dire du déséquilibre significatif avec tentative de soumission (arrêt Galec du 25 janvier 2017).
L’analyse extensive de la cour d’appel de Paris était contraire au principe d’interprétation restrictive de la loi relative aux restrictions de concurrence.
En réalité, cette condition de soumission gênait beaucoup le ministre et il y a eu une volonté, dans la réforme par ordonnance du 24 avril 2019, de se soustraire à l’exigence de la condition de soumission de l’ancien 2° du L.442-6.
On sait que dans cette condition de soumission, il y avait une double idée. D’abord une absence réelle de négociations et ensuite, on n’a pas pu négocier librement parce que le contractant était incontournable, on ne pouvait pas s’en passer.
Or, après des années où la condition de soumission des fournisseurs à la grande distribution était quasiment acquise sans débat judiciaire, le ministre avait été récemment débouté à plusieurs reprises pour ne pas avoir prouvé la soumission par des fournisseurs puissants qui pouvaient négocier avec la grande distribution. C’est l’arrêt ITM par la cour d’appel de Paris du 20 décembre 2017 ou encore l’arrêt SYSTEME U du 16 mai 2018 qui admet l’absence de soumission pour un fournisseur.
C’est ce qui explique aujourd’hui le dédoublement du déséquilibre significatif. La seule raison du maintien du 1° et de son élargissement, c’est de permettre au ministre de s’affranchir de la condition de soumission. C’est une arme de destruction massive !
Le contrôle du prix déséquilibré se passe désormais de la condition de soumission. Quand on exige la soumission, le déséquilibre significatif concernant le prix sanctionne une lésion qualifiée c’est-à-dire une lésion sur une personne qui est en situation de faiblesse ou de dépendance. Avec le 1°, sans condition de soumission, on fait un pur contrôle du prix, un pur contrôle de la lésion. Cela fragilise toute négociation de réduction de prix lors des négociations commerciales.
Peut-on invoquer le rééquilibrage par les autres clauses du contrat ? Pas sûr car le rééquilibrage a été admis par la jurisprudence pour le 2° de l’ancien article L.442-6. Il reste à le faire juger pour le 1°.
Cela ne concernera pas que la grande distribution. Le texte permet par sa formule générale de l’appliquer à toute personne qui exerce des activités de production, de distribution ou de services. C’est extrêmement large.
Côté victime, on peut supposer que cela concernera tout de même des rapports professionnels puisque le texte est dans le code de commerce.
Le risque d’insécurité juridique est total. Dans le contentieux de la franchise, on peut parfaitement imaginer que ce texte soit évoqué pour remettre en cause le prix qui est la contrepartie de la mise à disposition du savoir-faire et de la marque et donc tenter de faire revoir, d’obtenir la nullité des redevances parce que celles-ci auraient été disproportionnées au regard de la valeur du savoir-faire. Prouver la libre négociation de la redevance ne servira strictement à rien. Elle n’était d’ailleurs pas négociée.
On voit qu’il y a désormais un vrai sujet et nous attendons de voir ce que les juges en feront.
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