Déduction des économies de frais fixes de l’indemnité due à la victime d’une rupture brutale
Les juges peuvent prendre en considération les économies de frais fixes réalisés par la victime d’une rupture brutale de relation commerciale établie pour définir la marge perdue par cette dernière pendant le préavis non exécuté.
Dans un arrêt du 23 janvier 2019, non publié au Bulletin, la Cour de cassation apporte des précisions sur l’indemnisation de la victime d’une rupture brutale de relations commerciales établies.
Pour rappel, l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce impose, en cas de rupture d’une relation commerciale établie, de respecter un préavis dont la durée doit être calculée au regard de l’ancienneté de la relation commerciale en cause. Il ressort de la jurisprudence une tendance à retenir un préavis d’environ un mois par année d’ancienneté pour la détermination du préavis à accorder au partenaire commercial avec lequel on souhaite rompre.
L’indemnisation à laquelle peut prétendre la victime de la rupture correspond à la marge brute qu’elle aurait réalisée pendant le délai de préavis dont elle a été privée, laquelle est généralement appliquée sur la moyenne du chiffre d’affaires réalisé au cours des 2/3 années précédant la rupture.
Les faits ayant mené à l’arrêt exposé sont les suivants. Une société avait mis fin à une relation commerciale nouée avec une autre société en accordant un préavis d’environ 5 mois. En appel, la Cour d’appel de Paris a retenu que la victime de la rupture aurait dû bénéficier d’un préavis de 12 mois et devait en conséquence être indemnisée de la somme de 53.175 euros, correspondant à la marge brute retenue (124.214 euros), déduction faite des frais fixes (71.039 euros).
La victime de la rupture a formé un pourvoi en cassation et soutenait qu’en déduisant de la marge brute les économies de frais fixes réalisés par elle, les juges d’appel auraient violé l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, requérant l’indemnisation de la totalité de la marge brute dont elle a été privée.
Le demandeur au pourvoi soutenait en effet que la réparation intégrale du préjudice résultant du caractère brutal de la rupture d'une relation commerciale établie impose de prendre en compte la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n'a pas été exécutée, sans avoir égard aux circonstances postérieures à la rupture.
La Cour de cassation rejette toutefois ce pourvoi en retenant « qu'après avoir rappelé que le recours à la marge brute, qui est une notion comptable définie comme la différence entre le chiffre d'affaires hors taxes (HT) et les coûts HT, se justifie par le fait que la victime de la rupture continue de supporter certaines charges fixes, l'arrêt relève que pendant la période comprise entre le 8 avril et le 7 novembre 2011, la [victime de la rupture] a subi, en raison de la rupture de la relation commerciale, une perte de commissions égale à la somme de 124 214 euros et que, pendant cette même période, cette dernière a réalisé des économies de frais fixes, en particulier de personnel et de loyer, d'un montant total de 71 039 euros ».
Ainsi, selon la Cour de cassation, la Cour d'appel de Paris, « qui a pris en considération les éléments pertinents, qu'elle a souverainement appréciés, pour définir la marge perdue par la [victime de la rupture] pendant le préavis non exécuté, a pu retenir que le préjudice réellement subi par celle-ci s'élevait à la somme de 53 175 euros ».
Ce faisant, la Cour de cassation ne censure pas le raisonnement de la Cour d’appel de Paris ayant tenu compte des économies de frais fixes réalisées par la victime de la rupture postérieurement à la date de notification de la rupture, pendant le délai de préavis non exécuté, pour le calcul de l’indemnisation de la rupture brutale.
Pour mémoire, la Cour de cassation avait énoncé dans un arrêt du 5 juillet 2017, au visa de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, « que la brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie s'apprécie à la date de la notification de cette rupture, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments postérieurs à celle-ci, a violé le texte susvisé » (Cass. com., 5 juillet 2017, n° 16-14.201).
Aussi, on peut se demander si cet arrêt, bien que non publié au Bulletin, n’annonce pas un infléchissement de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, devant la résistance de la Cour d’appel de Paris. A cet égard, si la Cour de cassation considère que l’opportune reconversion de la victime qui a su réorganiser son activité est un critère inopérant (Cass. com., 26 avril 2017, n° 15-23.078) dès lors que la prise en compte de la reconversion reviendrait à se fonder sur des éléments postérieurs à la notification de la rupture, la Cour d’appel de Paris considère quant à elle que cette reconversion est un critère du temps de préavis opportun en ce qu’elle démontre rétroactivement que la victime pouvait trouver des solutions alternatives au moment de la rupture (CA Paris, 28 juin 2017, n° 14/26044).
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