BRICORAMA condamné à payer plus de 350.000 euros au titre de plusieurs pratiques restrictives de concurrence
La Cour d’appel de Paris condamne les sociétés BRICORAMA pour déséquilibre significatif, pour avoir bénéficié d’avantages rétroactifs et pour n’avoir pas respecté le préavis donné à un fournisseur de manière effective.
Entre 1996 et 2001, des contrats de partenariat ont été conclus entre la Société de Fonderie du Centre (ci-après « société SOFOC ») et la société BRICORAMA aux termes desquels cette dernière référençait et vendait les produits de la société SOFOC, notamment des poignées de porte.
Suite à un arrêt des commandes en 2002, la société SOFOC a assigné les sociétés BRICORAMA et BRICORAMA France pour déréférencement brutal. Le litige s’est soldé par protocole transactionnel aux termes duquel la société SOFOC s’est notamment engagé à reprendre les stocks en cours en lui versant la somme de 180.000 euros au titre d’avoirs sur la marchandise.
Entre 2008 et 2012, les sociétés BRICORAMA et SOFOC ont de nouveau conclu des accords de référencement successifs.
En janvier 2012, elles ont conclu des contrats d’application au contrat de référencement annuel 2011 pour l’octroi de remise de fin d’années.
En avril 2012, la société BRICORAMA a lancé un appel d’offres sur les poignées de porte, la société SOFOC ayant été invitée à y répondre.
En mai 2012, la société BRICORAMA a informé la société SOFOC de sa décision de mettre fin à leurs relations commerciales en lui accordant un préavis de 8 mois.
En décembre 2012, la société SOFOC l’a informé que le délai de préavis n’avait pas commencé à courir faute de respect de la procédure prévue au code de conduite. Elle lui demandait donc de maintenir leurs relations commerciales pendant 18 mois ou à défaut de lui proposer une indemnisation destinée à compenser l’absence de préavis. Elle lui demandait également de cesser de pratiquer des débits d’office et de lui rembourser les sommes indûment perçues.
En mai 2013, la société SOFOC a assigné les sociétés BRICORAMA pour rupture brutale des relations commerciales.
Le conseil de la société SOFOC a informé le Ministre de l’Economie du contentieux. Ce dernier a décidé d’intervenir à la procédure considérant que certaines clauses du contrat de référencement 2012 étaient constitutives de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et que les deux contrats d’application conclus en janvier 2012 constituaient un avantage rétroactif au sens de l’article L. 442-6, II, a) du Code de commerce et étaient également constitutifs de déséquilibre significatif.
En première instance, le Tribunal de commerce de Paris a notamment :
- considéré que la société Bricorama n’avait pas rompu brutalement la relation commerciale ;
- condamné solidairement les sociétés BRICORAMA et BRICORAMA France à la somme de 38.500 euros pour préavis ineffectif ;
- prononcé la nullité des contrats d’application et condamné solidairement les sociétés BRICORAMA et BRICORAMA France à verser au Trésor Public la somme de 41.204 euros HT au titre des sommes indûment perçues au titre de l’exécution des deux contrats, à charge de ce dernier de la restituer à la société SOFOC ;
- prononcé la nullité de plusieurs clauses du contrat de référencement constitutives de déséquilibre significatif et condamné solidairement les sociétés BRICORAMA et BRICORAMA France à 150.000 euros à titre d’amende civile et à un (1) euros à la société SOFOC à titre de dommages et intérêts ;
- débouté la société SOFOC de ses demandes de remboursement des sommes dues au titre du protocole transactionnel et de celles déduites d’office.
Les sociétés BRICORAMA et BRICORAMA France ont interjeté appel du jugement.
Sur la rupture brutale des relations commerciales :
La société BRICORAMA conteste le jugement aux motifs qu’elle a respecté le formalisme applicable en matière de déréférencement et que le préavis accordé était suffisant.
La Cour considère, concernant les formalités prévues par le code de conduite, à savoir la tenue d’une réunion avant l’annonce de la rupture, que les parties s’opposent sur l’objet de la réunion. Toutefois, bien avant la notification de la rupture, la société SOFOC avait connaissance que leurs relations pouvaient être remises en cause en raison de l’appel d’offres projeté. L’objet de la réunion ne pouvait donc porter que sur le déréférencement éventuel à venir à la suite de l’appel d’offres. La Cour d’appel considère donc que l’entretien préalable a bien eu lieu et que le préavis courait à compter de la lettre de notification de la rupture.
Sur la durée des relations commerciales, la Cour considère que le protocole a mis fin au litige afférent à la période entre 1996 et 2002, et que cette période ne peut donc être prise en compte dans le calcul de la durée des relations. La durée des relations commerciales à prendre en compte est donc de 4 ans et 2 mois (13/03/2008 à 2/05/2012).
Sur la durée du préavis, la Cour considère que le délai de 8 mois était suffisant et qu’il n’y a pas de rupture brutale, la société SOFOC ne démontrant en rien son état de dépendance économique par rapport aux sociétés BRICORAMA (moins de 10% de son chiffre d’affaires avec BRICORAMA et possibilité de trouver d’autres partenaires : Castorama, Leroy Merlin, Mr Bricolage) et n’établissant pas avoir réalisé des investissements dédiés à cette relation.
Cependant, le préavis n’a pas été exécuté dans les formes antérieures, la société BRICORAMA ayant diminué les commandes pendant le préavis. Les sociétés BRICORAMA sont donc condamnées à la somme de 69.393 euros correspondant à la perte de marge subie pendant la période de préavis.
Sur la nullité des contrats d’application au regard de l’article L. 442-6, II, a) du Code de commerce :
Selon l’article L. 442-6, II a) du Code de commerce, sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité « De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ».
La société SOFOC et le Ministre de l’Economie soutenaient que les contrats d'application constituaient des avantages rétroactifs prohibés par l'article L.442-6, II, a), dès lors qu’un des contrats d’application portant sur une « RFA complémentaire » de 32.000 euros HT concernait en réalité des pénalités dues suite à un mauvais taux de service lors d'années antérieures, et que l’autre contrat d'application portant sur une « RFA complémentaire » de 9.204 euros HT concernait en réalité la rémunération d'une prestation publicitaire effectuée en 2010 et n'ayant pas été prévue dans la convention 2010.
La société Bricorama ne contestait pas que la présentation de ces pénalités et prestations comme remises forfaitaires annuelles était fausse, mais soutenait qu'elle n'entraîne pas la qualification d'avantages rétroactifs, puisqu'elles avaient été acceptées par la société SOFOC et correspondaient à une pénalité effectivement due par la société SOFOC et à une prestation réelle de publicité dont elle avait bénéficié.
La Cour considère que ces contrats faussement présentés comme rémunérant des services rendus au titre de l'année 2011 constituent des avantages rétroactifs qui rémunèrent a posteriori des pénalités et services rendus en 2010. La Cour confirme donc le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité de ces contrats et a condamné solidairement les sociétés BRICORAMA à la somme de 41.204 euros HT.
La Cour d’appel considère cependant qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de nullité de ces contrats au titre du déséquilibre significatif dans la mesure où ils ont déjà été annulés sur le fondement de l’article L. 442-6, II, a) du Code de commerce et qu’une amende civile est déjà encourue sur ce fondement.
Sur le déséquilibre significatif :
La Cour d’appel considère que le premier élément constitutif de cette pratique, à savoir la soumission ou la tentative de soumission est caractérisée dans la mesure où la société BRICORAMA ne rapporte pas la preuve que le contenu du contrat de référencement a été librement négocié avec la société SOFOC.
Concernant le second élément constitutif de la pratique, à savoir l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif, la Cour d’appel confirme le jugement ayant annulé les clauses :
- les articles 3.11 et 3.12 du contrat de référencement prévoient que le fournisseur doit garantir à la société BRICORAMA France ainsi qu’à ses franchisés un taux de service de 97% et que les livraisons incomplètes ou retards de livraison pourront entrainer l’annulation des commandes et/ou la résiliation immédiate du contrat de référencement pour inexécution fautive du fournisseur ainsi que l’application d’une pénalité de 25 % de la valeur d’achat hors taxe commandée non livrée et d’une pénalité de retard de 7,5 % par semaine de la valeur commandée HT en cas de retard de livraison.
- La Cour d’appel relève que la conformité du taux imposé aux fournisseurs montre que cette clause a été imposée à la société SOFOC. Par ailleurs, le taux de service n’a pas défini d’un commun accord entre les parties et ne varie pas en fonction de nombreux facteurs (délais et caractéristiques de production, mode d'approvisionnement, typologie de flux, modalités de livraison, nature des produits (permanent, standard, promotion) et de la commande (ferme, réservation)) conformément aux préconisations de l’Efficient Consumer Response (ECR). Or, le taux de 97 % ne tient pas compte des particularités propres à chaque fournisseur et à chaque magasin.
- Par ailleurs, les modalités d’évaluation de ce taux sont imprécises et ne prennent pas en compte la complexité de la chaine d’approvisionnement depuis les commandes jusqu’à la réception des marchandises ou la multiplicité des intervenants dans la chaîne logistique.Les sanctions prévues sont également disproportionnées par rapport à la gravité du manquement. A ce titre, le contrat de de référencement ne donnent aucun barème pour apprécier de manière objective la gravité du manquement et mettent sur le même plan une commande livrée avec un retard de 24 heures ou une semaine et une commande livrée à 97 % ou 50 %. Enfin, la société BRICORAMA ne démontre pas que ce déséquilibre serait compensé par une clause en faveur du fournisseur.
- L’article 3.15 du contrat de référencement permet à la société Bricorama de résilier le contrat en cas de sous-performance des produits du fournisseur.
La Cour d’appel relève notamment que :
- la sous-performance peut résulter du fait du distributeur auquel il incombe de mettre en valeur les produits du fournisseur. ;
- le distributeur peut mettre un terme au contrat ou déréférencer les produits dès lors qu'une seule référence ne remplirait pas les objectifs (non définis en l’espèce) et ce alors même que cette mévente pourrait être directement imputables au distributeur ;
- la résiliation est automatiquement encourue en raison d'un manquement dont la considération de la réelle gravité fait défaut et sans considération de l'ancienneté de la relation commerciale ;
- elle ne joue qu'au profit du distributeur ;
- la circonstance que la clause prévoit la faculté pour le fournisseur de corriger le dysfonctionnement dans le délai d'un mois avant la résiliation encourue ne saurait corriger ce déséquilibre, dans la mesure où le fournisseur n'est pas à même de corriger une sous-performance qui ne lui est pas toujours imputable.
L’article 3.13 du contrat de référencement prévoit que le fournisseur s'oblige à avoir une couverture de stock inférieure ou égale à ses délais de paiement, autrement dit des produits qui se vendent plus vite qu'ils ne sont payés, faute de quoi le fournisseur s'engage « à reprendre les produits de faible rotation ».
La Cour d’appel relève que le distributeur est ainsi assuré de bénéficier d'un gain de trésorerie liée à la garantie que les produits seront vendus par lui, avant que lui-même n'ait payé le fournisseur. Le distributeur est ainsi déchargé du risque commercial en cas d'échec d'un produit alors qu'il bénéficie par ailleurs des gammes de produits les plus larges pour attirer les consommateurs. Alors qu'il incombe au distributeur de déterminer quels sont les produits qu'il souhaite acheter et mettre dans ses rayons en fonction de sa stratégie commerciale, et qu'il détient presque tous les leviers lui permettant d'agir sur le niveau des ventes (fixation du prix de vente, choix de l'emplacement, opérations promotionnelles), cette clause lui permet d'imputer au fournisseur la totalité de la charge de la mévente d'un produit, sans qu'aucune contrepartie ne soit accordée à celui-ci.
Par ailleurs, cette clause permet à la société Bricorama de contourner l'un des objectifs de la réglementation relative aux délais de paiement en continuant de financer sa trésorerie par le biais du crédit fournisseur et de faire reprendre par le fournisseur à sa discrétion des produits qu'il ne souhaite plus vendre. Enfin, la société Bricorama ne démontre pas que cette clause bénéficiait aussi au fournisseur.
Enfin, la société Bricorama ne démontre pas que le contrat signé avec la société SOFOC ait été rééquilibré par l'adoption d'autres clauses.
La Cour condamne donc les sociétés BRICORAMA à :
- payer à la société SOFOC la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- lui rembourser la somme de 10.218,69 euros au titre des pénalités indûment perçues pour un taux de service contractuel prétendument non respecté ;
- une amende civile d’un montant de 150.000 euros.
Sur les déductions d’office sur facture pratiquées par les sociétés BRICORAMA :
La Cour rappelle que l’article L. 442-6, I, 8 du Code de commerce prévoit qu’engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers « de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant ».
En l’espèce, les sociétés BRICORAMA reconnaissent avoir déduit des sommes sur les factures en raison de problèmes lors de la livraison des marchandises. Cependant, il n’y a pas eu de communication de griefs préalables ou de discussion permettant à la société SOFOC de s’opposer aux retenues effectuées.
La Cour infirme donc le jugement et condamne les sociétés BRICORAMA à payer à la société SOFOC la somme de 4.963,91 euros.
Sur les autres demandes :
La Cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté la société SOFOC de ses demandes de nullité de l’article 10 du protocole transactionnel et de remboursement de la somme de 84.815,71 euros versé au titre de la reprise des stocks.
CA Paris 19/04/2017, n°15/21221
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