vendredi 16 décembre 2016

Clauses des conditions générales de prestation de la plateforme de réservation hôtelière en ligne « Booking » annulées pour déséquilibre significatif

Le Tribunal de commerce de Paris annule certaines clauses des conditions générales de prestation d’une plateforme de réservation hôtelière en ligne contraires à l’article L. 442-6 du code de commerce et enjoint à la plateforme de cesser de les mettre en œuvre pour l’avenir.

Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 29 novembre 2016 – RG n° 2014027403 (Ministre de l’Economie et des Finances et autres / Société BOOKING.COM B.V et Société BOOKING.COM France).

1. On se rappelle qu’en 2011, le Ministre de l’Economie et des Finances avait demandé aux services de la DGCCRF d’enquêter sur les relations commerciales établies entre les sociétés exploitant des sites internet de réservation de nuitées d’hôtels et les hôteliers français au regard des dispositions du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence.

Suite à la saisine de plusieurs syndicats professionnels, la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales avait également rendu un avis le 16 septembre 2013 (n°13-10) sur les relations commerciales des hôteliers avec les entreprises exploitant les principaux sites de réservation hôtelière aux termes duquel elle avait considéré que certaines clauses étaient contraires à l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.

La question de la validité de certaines stipulations contractuelles de plateformes de réservation hôtelière en ligne au regard de l’article L. 442-6 du code de commerce était donc un sujet de préoccupation depuis plusieurs années.

Ce jugement intervient après la décision de l’Autorité de la concurrence du 11 avril 2015 (n°15-D-06) sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Booking.com B.V, Booking.com France et Booking.com Customer Service France dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne, qui après avoir identifié des préoccupations de concurrence sur les fondements de l’interdiction des ententes et des abus de position dominante, avait accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par cet opérateur.

2. Dans la présente affaire, le Ministre de l’Economie et des Finances a saisi le Tribunal de commerce de Paris aux fins :

- de voir juger certaines clauses contraires à l’article L. 442-6 du Code de commerce, 
- qu’il soit enjoint à la plateforme de réservation hôtelière en ligne de cesser pour l’avenir           de mentionner et mettre en œuvre ces clauses ;
- d’en faire faire constater la nullité ;
- qu’une amende de deux millions d’euros soit prononcée à l’encontre des défenderesses.

2.1. Plusieurs clauses sont jugées contraires à l’article L. 442-6 du Code de commerce.

2.1.1. Les clauses de parité tarifaire et de disponibilité

Le Ministre de l’Economie poursuit la nullité des clauses suivantes dans la mesure où elles permettent, ensemble, à la plateforme de bénéficier des tarifs les plus concurrentiels du marché :

- une clause d’engagement par l’hôtel que son offre de prix, de règlement et de conditions de réservation figurant sur le site Booking.com garantisse un tarif au plus égal à celui pouvant figurer sur toute autre annonce de prix, qu’elle émane d’un concurrent, de l’établissement ou d’une tierce partie ;
- une clause de disponibilité permettant à Booling.com de s’assurer que le site lui offre un nombre d’hébergements au moins équivalent à celui proposé à la concurrence ou à d’autres tiers partenaires de l’hôtel ;
- une clause d’engagement par l’hôtel d’ajuster ses tarifs en cas de réclamation du client relative à la garantie du meilleur tarif ;
- une clause d’engagement par l’hôtel de compensation de Booking.com si une         réclamation relative à la garantie du meilleur tarif non résolue fait l’objet d’une                 indemnisation du client.

Le Tribunal rappelle préalablement qu’il revient à celui qui conteste l’existence d’un déséquilibre significatif de « faire la preuve que la clause incriminée s’inscrit dans un contexte contractuel plus large et que d’autres clauses rétablissement l’équilibre contesté », ce que Booking.com ne fait pas.

Par la suite, le Tribunal considère que :

- la clause est constitutive de déséquilibre significatif dans la mesure où « l’hôtelier est privé de sa liberté de déterminer une politique tarifaire selon les différents canaux de commercialisation de ses chambres, […] d’accorder à certains clients des avantages spécifiques, comme le petit-déjeuner offert ou un sur classement » ;
- l’Autorité de la concurrence a confirmé la position prépondérante de Booking sur le marché de la réservation de nuitées, supérieure à 30%, et que compte tenu du rapport de force économique déséquilibré existant, la condition de soumission est remplie. Le Tribunal se contente ici de déduire de la structure du marché, le fait que les cocontractants ne disposaient pas d’un réel pouvoir de négociation, comme certaines décisions rendues à propos de relations entre la grande distribution et les fournisseurs ont pu le faire.

Le Tribunal estime donc que ces clauses, en ce qu’elles « permettent à la plateforme de réservation de s’assurer de l’obtention automatique des conditions plus favorables consenties par l’hôtelier aux autres canaux de distribution et concurrents de Booking.com », contreviennent aux dispositions de l’article L. 442-6 II d) du code de commerce (considérant comme nulles les clauses prévoyant la possibilité de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant) et à l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce relatif au déséquilibre significatif s’agissant de l’alignement automatique sur les conditions pratiquées par l’hôtelier lui-même.

On précisera que la plateforme de réservation faisait valoir que ces clauses étaient la contrepartie de la visibilité offerte aux hôteliers. Sur ce point, le Tribunal rétorque que la plateforme s’était engagée auprès de l’Autorité de la concurrence à modifier, voire supprimer ces clauses, et qu’elle avait donc reconnu que cette contrepartie n’était pas indispensable.

2.1.2. Les clauses de marketing direct 

Ces clauses interdisaient aux établissements hôteliers de communiquer des indications telles que le numéro de téléphone, de télécopie ou l’adresse de leurs réseaux sociaux sur le site booking.com et d’utiliser les coordonnées de la clientèle.

Le Tribunal estime que ces clauses restreignent la liberté de l’hôtelier de prospecter des clients.

2.1.3. Les clauses en matière de classement

Le Tribunal, après avoir examiné le mécanisme de classement mis en place, relève que :

- même si différents paramètres permettent de déterminer le classement des hôtels, le mécanisme mis en place par la plateforme est sensible au niveau de la commission versée par l’hôtelier et au délai de paiement de la commission qui lui est due ;
- l’hôtelier peut également améliorer sa visibilité en souscrivant un programme « hôtels préférés » ;
- la participation d’un grand nombre d’hôtels à l’augmentation du pourcentage de leur commission annulera en pratique tous les efforts particuliers car l’article entraine à la surenchère
- il est fait croire aux consommateurs que le classement des hôtels est assis sur des critères qualitatifs.

Le Tribunal considère donc que le mécanisme mis en place confère à la plateforme « un pouvoir unilatéral et un pouvoir discrétionnaire », « des prérogatives unilatérales et potestatives » en matière de classement des hôtels.

Le Tribunal enjoint donc aux défenderesses de cesser pour l’avenir les pratiques tendant à mentionner et mettre en œuvre ces clauses constitutives de déséquilibre significatif et constate leur nullité.

2.2. Le Tribunal considère cependant que les clauses de propriété intellectuelle et de responsabilité contractuelle ne sont pas constitutives de déséquilibre significatif.

Concernant les clauses de propriété intellectuelle, le Tribunal estime qu’il s’agit de clauses usuelles dans les contrats de distribution par lequel un opérateur est chargé de vente et/ou de promouvoir les produits et services d’un autre, une telle licence étant « intrinsèquement » liée à l’objet du contrat, et que la licence conférée sur les éléments de propriété intellectuelle est strictement limitée. Le Ministre de l’Economie ne démontre pas que ces clauses auraient pour conséquence de détourner la clientèle des hôtels au profit de Booking.com.

Concernant la clause de responsabilité contractuelle, le Tribunal relève que la résiliation pour manquement contractuel est réciproque et que la plateforme n’est pas à l’abri de dysfonctionnements informatiques et qu’elle a, à ce titre, une obligation de moyens renforcés mais pas de résultat. Il souligne que si la plateforme ne fonctionne pas, elle ne percevra pas de commission et cela n’empêcherait pas le client de se reporter vers un autre canal de distribution, l’hôtel n’étant pas liée à la plateforme par une exclusivité. 

2.3. Enfin, le Tribunal refuse de faire droit à la demande de condamnation à une amende civile de deux millions d’euros aux motifs, notamment, que la plateforme de réservation a « accepté de rentrer en procédure d’engagements et de modifier ses conditions générales de prestation et que la plupart des clauses infirmées ne sont plus en vigueur ».

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