Appréciation de la notion de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de Commerce
Si la notion de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce doit être appréciée comme étant économique, ce qui permet de la retenir nonobstant la conclusion entre les parties de plusieurs conventions successives, elle suppose que les parties qui l'invoquent soient identiques entre elles ou qu'une transmission des droits encadrant cette relation commerciale entre deux parties s'étant succédées soit justifiée.
Dans cette affaire, une société de conseil en systèmes et logiciels informatiques (ci-après le « Prestataire ») réalisait des prestations de services informatiques au profit d’une société (ci-après la « Cliente »).
Le 30 septembre 2011, la Cliente met fin à la relation commerciale établie avec son Prestataire, avec effet immédiat, sans prévis, mais en procédant, postérieurement à la rupture, au versement d’une indemnité correspondant au manque à gagner du Prestataire pendant 4 mois.
Soutenant avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, le Prestataire a assigné sa Cliente devant le Tribunal de commerce de Paris en indemnisation sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Pour mémoire, cet article dispose qu’« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :...5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Déboutée de l’ensemble de ses demandes par jugement du 8 février 2016, le Prestataire a interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris, soutenant qu’elle était liée à sa Cliente par des relations commerciales établies depuis 12 années (de septembre 1999 à septembre 2011), avant que celles-ci ne soient rompues brutalement et sans préavis à l'initiative exclusive de sa Cliente.
Le Prestataire estimait qu'un préavis de deux années au minimum aurait dû être respecté.
A l’appui de sa prétention, le Prestataire faisait valoir :
- qu'un contrat de sous-traitance du 7 septembre 1999 par lequel une société lui avait confié une mission chez sa Cliente, marquait le point de départ de ses relations commerciales établies avec cette dernière et que cette mission avait été renouvelée en 2001 suivant contrat de sous-traitance du 28 mai 2001 ;
- qu’en septembre 2004, elle avait travaillé avec une autre société faisant partie du même groupe que sa Cliente, qui est présentée par le site Bloomberg comme étant sa filiale, et qu’il justifiait des liens capitalistiques entretenus par ces deux sociétés.
La Cour d’Appel de Paris devait donc se prononcer sur la question de savoir si les éléments précités étaient suffisants à caractériser une relation commerciale établie d’une durée de 12 années invoquée par le Prestataire.
Dans son arrêt du 21 mars 2018, la Cour d’appel de Paris rappelle que « la société qui se prétend victime d’une [rupture de relations commerciale établies] doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable d'un courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial ».
Or, la Cour énonce :
- D’une part, que le Prestataire ne pouvait pas utilement se prévaloir à l'égard de sa Cliente des relations contractuelles qu'elle avait entretenues avec une société tierce par la conclusion d'un contrat de sous-traitance débutant le 13 septembre 1999 et renouvelé en 2001 et lui confiant l'exécution d'une mission de consulting auprès de la Cliente.
En effet, selon la Cour, la seule circonstance que le Prestataire ait noué des relations commerciales avec un partenaire de sa Cliente ne permettait pas de considérer que cette dernière ait eu l'intention de poursuivre avec elle la relation commerciale précédemment entretenue avec ce partenaire.
Ce faisant, la Cour d’Appel de Paris conforte sa jurisprudence en la matière, selon laquelle doit être prise en compte une relation nouée avec un tiers à la relation originelle « dès lors que la relation a été poursuivie par l’auteur de la rupture » (CA Paris, 11 mars 2016, n° 14/211201), « la volonté des parties de faire reprendre par [le nouveau partenaire] les droits et obligations [du premier] » constituant un critère essentiel de la poursuite de la relation (Cass. com., 5 janv. 2016, n° 14-25.397).
- D’autre part, que le Prestataire ne pouvait pas plus invoquer la prise en compte d'une mission ponctuelle que lui avait confiée, en septembre 2004, une autre société tierce, autonome juridiquement de sa Cliente, « à supposer même que cette mission ait perduré, dans la mesure où aucun élément du dossier ne vient établir l'existence d'un centre de décision unique entre les [la Cliente et cette société tierce], et où n'est nullement établie la volonté de [la Cliente] de succéder à la société [tierce] dans les relations contractuelles qu'elle avait conclues avec [le Prestataire] ».
Selon la Cour, la seule circonstance que cette société tierce entretienne des liens capitalistiques avec la Cliente ne permet pas au Prestataire de se prévaloir de la relation commerciale précédemment établie avec cette société tierce.
La Cour d’Appel relève de surcroît que le Prestataire ne justifie pas que les conditions de la mission qui lui avait été confiée, dont notamment celles relatives au contenu des prestations et à leur paiement, « soient identiques, voire similaires à celles afférentes aux commandes passées postérieurement par [sa Cliente] ».
Ainsi, en refusant de prendre en compte la mission qui avait été confiée au Prestataire par une société entretenant des liens capitalistiques avec la Cliente, la Cour d’appel de Paris vient rappeler le principe d’autonomie des personnes juridiques au sein d’un groupe de société. Elle avait pu, à cet égard, énoncé dans un arrêt du 22 janvier 2016, que « la notion de relations commerciales ne peut s’entendre que de relations effectivement et réellement entretenues entre des personnes morales ou physiques et que ceci exclut que ces relations puissent être appréciées de manière globale au niveau d’un groupe de personnes juridiquement distinctes les unes des autres, et indépendantes » (CA Paris, 22 janvier 2016, n° 14/03271).
La Cour d’Appel de Paris confirme donc le jugement entrepris qui avait estimé que les relations commerciales avaient commencé le 30 janvier 2009 pour s'achever en septembre 2011, soit des relations commerciales d'une durée de 2 ans et 8 mois.
S’agissant de la durée du préavis suffisant, la Cour d’appel a confirmé le Tribunal de commerce de Paris d’avoir considéré que le préavis de 4 mois accordé postérieurement à la rupture par la Cliente était suffisant au regard des circonstances de l'espèce. A cet égard, si ces circonstances faisaient ressortir la part prépondérante de la Cliente dans le chiffre d'affaires du Prestataire, les juges avaient cependant relevé l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et que le Prestataire ne justifiait pas qu’une telle dépendance avait été imposée par la Cliente.
Nous noterons dans cette affaire, que si la Cliente avait mis fin à la relation commerciale le 30 septembre 2011, à effet du même jour, sans respecter un préavis suffisant et en particulier le préavis contractuel d'un mois, elle avait néanmoins procédé à un versement au profit du Prestataire d’une indemnité correspondant au préavis contractuel d'un mois ainsi que d’une indemnité complémentaire de trois mois, ce qui a eu pour effet de porter l'indemnisation à quatre mois. Selon la Cour, ces versements ont permis au Prestataire d’être indemnisé du manque à gagner du fait de la brutalité de la rupture.
CA Paris, 21 mars 2018, n° 16/06342
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