Notification de la rupture par l’annonce d’un appel d’offres et résiliation à titre conservatoire
L'annonce d'un appel d'offres auquel un partenaire commercial était en mesure de répondre, vaut manifestation de sa volonté de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et a ainsi fait courir le délai de préavis, peu important l'issue de l'appel d'offres.
La résiliation à titre conservatoire réalisée par cette annonce, qui ne s’entend que d’une possibilité de poursuite de la relation commerciale si ce partenaire commercial remportait la consultation lancée par l'appel d'offres, n’a ainsi aucune incidence sur le point de départ du préavis.
Dans un arrêt en date du 11 avril 2018, la Cour d’appel de Paris rappelle que la notification du recours à un appel d’offres vaut notification de la rupture de la relation commerciale et constitue ainsi le point de départ du préavis devant être accordé en application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de Commerce.
Pour mémoire, cet article impose tout opérateur économique de respecter, lorsqu’il met fin à une relation commerciale établie avec un partenaire commercial, un préavis raisonnable tenant compte de l’ancienneté de la relation. A défaut, la rupture sera considérée comme brutale et donnera lieu à une indemnisation du partenaire évincé.
En l’espèce, à la suite d'un appel d'offres du 29 juillet 2003, ayant abouti à la conclusion d'un contrat le 15 décembre 2003 avec effet rétroactif au 1er décembre 2003, une société (ci-après le « Client ») avait confié à une autre société (ci-après le « Prestataire »), la coordination et la prise en charge des activités d'accueil ainsi que la gestion des demandes en moyens généraux liés à l'accueil de ses bureaux.
Ce contrat de prestation de services d'accueil, d'une durée d'un an, était renouvelable par tacite reconduction pour des périodes consécutives de douze mois, sauf résiliation par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de trois mois précédant la date anniversaire, soit le 30 novembre de chaque année, date modifiée postérieurement par avenant et fixée au 31 décembre de chaque année.
Le 18 août 2011, le Client a adressé au Prestataire une lettre recommandée avec avis de réception lui précisant qu’il souhaitait « qu'un appel d'offres soit lancé d'ici la fin de cette année » et que dans ce contexte, il lui signifiait par cette lettre « la résiliation, à titre conservatoire, du contrat de prestations de services d'accueil et avenants associés » le liant au Prestataire et à échéance du 31 décembre 2011.
Le 26 octobre 2011, le Prestataire a répondu à l'appel d'offres du Client en joignant une présentation du logiciel d'accueil qu'elle se proposait d'installer au service accueil.
Par lettre du 24 novembre 2011, le Client a confirmé au Prestataire que, suite à leurs échanges et à leur réunion, sa proposition financière et commerciale n'était pas retenue et que le contrat de prestation de service prendrait fin le 31 décembre 2011 au soir.
Le Prestataire a contesté cette décision, la qualifiant de rupture brutale de la relation commerciale établie.
C'est dans ce contexte que le Prestataire a saisi le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 21 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a débouté le Prestataire de sa demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, ainsi que de ses autres demandes formées à titre subsidiaire, pour inexécution contractuelle du Client.
Le Prestataire a fait appel de ce jugement et demandait à la Cour d’appel de Paris d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a reconnu l'existence de relations commerciales établies et, statuant à nouveau, de condamner le Client, à titre principal, à l’indemniser du préjudice qu’il prétendait avoir subi du fait de la perte de marge brute pendant la période de préavis raisonnable qu’il estimait à dix-huit mois.
A l’appui de sa prétention, le Prestataire soutenait notamment :
- que la lettre du 18 août 2011 était ambiguë et n'exprimait pas clairement la volonté de mettre fin aux relations commerciales, ce qui privait le prétendu préavis de toute efficacité ;
- qu'en mettant en avant l'appel d'offres dans cette lettre, le Client a délibérément laissé planer une ambiguïté sur l'effectivité et le caractère inéluctable de la résiliation ;
- qu'il avait été maintenu dans la croyance d'une poursuite du contrat en raison des réunions et des échanges postérieurs au cours desquels elle a présenté son concept et une société tierce dans le but d'inclure, au travers de l'un de ses prestataires, un service de conciergerie ;
- que la résiliation prononcée à titre conservatoire n'existe pas juridiquement et ne peut produire aucun effet ;
- et qu'à supposer que la lettre du 18 août 2011 ait pu produire un quelconque effet, la résiliation aurait dû être confirmée pour devenir ferme et définitive dans les conditions et délais prévus au contrat, soit avant le 30 septembre 2011 (lettre de confirmation intervenue le 24 novembre 2011) afin de respecter le préavis de trois mois laissé au cocontractant.
Mais la Cour d’appel, confirmant l’argumentation du Client, rappelle que « l'annonce d'un appel d'offres lancé par [le Client], auquel [le Prestataire] était en mesure de répondre, vaut manifestation de sa volonté de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures et a ainsi fait courir le délai de préavis, peu important l'issue de l'appel d'offres. »
En effet, selon la Cour, par la lettre de recours à l’appel d’offre du 18 août 2011, le Prestataire a été informé que le contrat ne serait pas tacitement reconduit le 31 décembre 2011 et que les prestations qu'il accomplissait jusqu'alors feraient l'objet d'un appel d'offres pour l'année suivante.
S’agissant de l'emploi du terme « résiliation à titre conservatoire » dont le Prestataire soutenait qu’elle n'existe pas juridiquement et ne peut produire aucun effet, la Cour d’appel précise que ce terme s'entend comme « une possibilité de poursuite de la relation commerciale si [le Prestataire] remportait la consultation lancée par l'appel d'offres ». Cela ne signifie cependant pas, selon la Cour, que le Prestataire, qui a répondu à l'appel d'offres, ait pu se méprendre sur les termes de la lettre « dépourvue d'ambiguïté, qui vaut préavis écrit conforme aux dispositions de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce. »
En conséquence, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de première instance ayant retenu que le préavis de quatre mois et quatorze jours qui avait été accordé au Prestataire était suffisant, dès lors que « même si les relations commerciales établies duraient depuis décembre 2003, soit huit ans, ce préavis était suffisant pour permettre au Prestataire, qui n'était liée par aucune exclusivité et ne réalisait que 29,34 % de son chiffre d'affaires avec [le Client], de redéployer son activité vers d'autres clients. »
CA Paris, 11 avr. 2018, n° 16/02549
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