Quel délai pour contester la clause refusant au preneur l’octroi d’une indemnité d’éviction ?
Le droit à une indemnité d’éviction est d’ordre public. Il est impossible d’y déroger . En cas de clause illicite organisant, en cas de congé du bailleur, une renonciation du preneur à son droit à une indemnité d’éviction, ce dernier est-il enfermé dans un délai de prescription biennale pour agir ?
Aux termes d’un bail commercial, conclu avant l’entrée en vigueur de la Loi Pinel, le preneur renonce à son droit à une indemnité d'éviction en cas de congé, délivré par le bailleur, comportant refus de renouvellement.
En septembre 2014, le preneur reçoit un tel congé, sans qu’aucune indemnité d’éviction ne lui soit proposée.
Contestant la validité de la clause de renonciation à son droit à indemnité d’éviction, sur le fondement de l'article L 145-15 nouveau du Code de commerce, le preneur assigne le bailleur en paiement d’une indemnité d’éviction.
Le bailleur fait valoir que l’action du preneur se heurte à la prescription biennale acquise deux ans après la signature du bail. Il considère que la clause litigieuse figure dans un bail signé avant la réforme du 18 juin 2014 (Loi Pinel) et que le régime applicable est celui de la loi ancienne, c’est à dire celui de la nullité et de la prescription de deux ans.
En outre, le bailleur invoque l’article 2222 du code civil selon lequel : « la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise ».
Ce dernier fondement n’était pas opportun, la réforme du 18 juin 2014 n’ayant pas « allongé » la durée de la prescription. Celle-ci a supprimé la prescription en substituant le régime du « réputé non écrit » à celui de la « nullité ».
Depuis la réforme, l'article L. 145-15 du code de commerce nouveau dispose que les clauses, stipulations et arrangements contraires au droit au renouvellement « sont réputés non écrits ».
La loi Pinel installe ainsi l’imprescriptibilité des actions tendant à invalider les clauses contraires au droit au renouvellement, le réputé non écrit étant imprescriptible.
Sous l’ancien régime, le même article sanctionnait sous mêmes clauses litigieuses de nullité.
Or, une clause nulle, qui n'avait pas été attaquée dans le délai de deux ans à compter de la signature du bail, se trouvait indirectement validée par l'effet de la prescription biennale.
Décision de la Cour de cassation :
La haute juridiction valide le raisonnement de la cour d’appel selon laquelle, s’agissant d’un bail « en cours », la loi du 18 juin 2014 doit s’appliquer.
Ainsi, l'ancien régime ne s'appliquerait qu’aux baux ayant pris fin avant la loi nouvelle.
La Cour de cassation avait d’ailleurs d’ores et déjà jugé en ce sens : « la cour d'appel a exactement retenu que la situation juridique s'était éteinte à cette date, soit avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 et que cette loi n'était pas applicable » et qu’« une loi nouvelle ne saurait, sans rétroactivité, régir les effets des situations juridiques définitivement réalisées avant son entrée en vigueur ». (Civ. 3e, 16 nov. 2023, n° 22-14.089).
Dans la décision commentée, la haute juridiction apporte des précisions sur l'application dans le temps du réputé non écrit.
Peu importe que la prescription biennale ait été acquise avant la réforme dès lors que le bail était toujours en cours à la date de l’entrée en vigueur de la loi Pinel :
« Il résulte de l'article 2 du Code civil que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.
11. La loi n 2014-626 du 18 juin 2014, qui, en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription (3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n 19-20.405, publié).
12. Dès lors, quand bien même la prescription de l'action en nullité des clauses susvisées était antérieurement acquise, la sanction du réputé non écrit est applicable aux baux en cours ».
Le critère retenu par la Cour de cassation est donc celui de l’expiration ou pas du bail commercial à la date de la Loi nouvelle.
Si le bail est toujours en cours, la Loi nouvelle s’applique et impose l’imprescriptibilité de l’action tendant à invalider la clause litigieuse.
Si le bail a pris fin avant la Loi nouvelle, l’action engagée plus deux ans après la signature du bail est irrecevable car prescrite.
Cour de cassation,
16 novembre 2023, n° 22-14.091
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