La forme d’une marque
Le Tribunal de l’Union européenne confirme l’annulation de la marque Rubik’s Cube constituée de la forme du jeu.
Nous avions évoqué cette affaire en 2016, à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 novembre 2016. Pour rappel, dans cette affaire, un producteur de jouet allemand avait sollicité la nullité de la marque tridimensionnelle Rubik’s Cube, laquelle reproduisait la forme du jeu. Elle faisait valoir en effet que la forme était nécessaire à l’obtention du résultat technique souhaité, à savoir la capacité de rotation tant horizontale que verticale des éléments du jeu.
A titre de rappel, le dépôt d’une forme à titre de marque ne doit pas aboutir à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit. Sont ainsi refusés à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Or, comme le rappelle l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, « lorsque la forme d’un produit ne fait qu’incorporer la solution technique mise au point par le fabricant de ce produit et brevetée à sa demande, une protection de cette forme en tant que marque après l’expiration du brevet réduirait considérablement et perpétuellement la possibilité pour les autres entreprises d’utiliser ladite solution technique. Or, dans le système des droits de propriété intellectuelle tel que développé dans l’Union, les solutions techniques sont seulement susceptibles de faire l’objet d’une protection de durée limitée, de sorte qu’elles puissent être librement utilisées par la suite par l’ensemble des opérateurs économiques (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C 48/09 P, EU:C:2010:516, point 46). »
La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt de 2016 dans cette affaire, avait annulé une décision du Tribunal de l’Union européenne précédemment rendues au motif qu’il n’aurait pas dû limiter son appréciation aux caractéristiques essentielles de la forme représentée (la structure en grille de chaque face du carré en particulier) mais devait apprécier ces caractéristiques au regard de la fonction technique du produit que cette forme représente. Pour réaliser cette appréciation, il était nécessaire de prendre en compte des éléments supplémentaires qu’un observateur objectif n’aurait pas pu saisir précisément sur la base des représentations graphiques. Autrement dit, il ne fallait pas se contenter de prendre en compte les éléments visibles sur la représentation mais prendre en compte également les éléments fonctionnels non visibles. En effet, à défaut, cela permettrait d’étendre la protection conférée par la marque à tout puzzle de forme similaire, indépendamment de ses modalités de fonctionnement, ce qui aurait été contraire à l’objectif que ces marques ne confèrent pas de monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit.
A la suite de cette décision de la CJUE de 2016, la première chambre de recours de l’EUIPO a, le 19 juin 2017, annulé la décision de la division d’annulation du 14 octobre 2008 (laquelle avait rejeté à l’époque la demande d’annulation de ladite marque) et a déclaré la nullité de la marque contestée pour les produits pour lesquels elle avait été enregistrée. C’est cette décision qui faisait l’objet d’un recours devant le Tribunal de l’Union européenne par le titulaire de la marque concernée.
Le Tribunal relève notamment que le produit est un jeu dont la finalité est de « reconstituer un puzzle de couleur en trois dimensions et en forme de cube en assemblant six faces de différentes couleurs » et que cette finalité est atteinte en faisant pivoter des rangées de cubes afin de disposer les plus petits cubes de manière uniforme sur chacune des six [faces] du produit. A cet égard, les lignes noires figurant sur la représentation graphique du puzzle déposée à titre de marque « représentent en réalité une séparation physique entre les différents petits cubes, permettant au joueur de tourner chaque rangée de petits cubes indépendamment les unes des autres afin de regrouper ces petits cubes, dans la combinaison de couleurs souhaitée, sur les six faces du cube. Une telle séparation physique est nécessaire pour faire pivoter, verticalement et horizontalement, grâce à un mécanisme logé au centre du cube, les différentes rangées de petits cubes. Sans une telle séparation physique, le cube ne serait rien d’autre qu’un bloc solide, ne comportant aucun élément individuel pouvant être déplacé de manière indépendante. » Enfin, le Tribunal relève qu’en ce qui concerne la forme globale du cube, « elle est nécessaire à l’obtention du résultat technique recherché. En effet, (…) la forme d’un cube est indissociable, d’une part, de la structure en grille, qui est constituée par les lignes noires qui s’entrecroisent sur chacune des faces du cube et divisent chacune de celles-ci en neuf petits cubes de mêmes dimensions répartis en rangées de trois par trois, et, d’autre part, de la fonction du produit concret en cause, qui est de faire pivoter horizontalement et verticalement les rangées de petits cubes. Eu égard à ces éléments, la forme du produit ne peut, en effet, être que celle d’un cube, à savoir un hexaèdre régulier ».
L’arrêt rappelle en outre, sur le point de savoir si des formes autres que des cubes pouvaient remplir la même fonction, que « l’enregistrement d’une forme en tant que marque est susceptible de permettre au titulaire de cette marque d’interdire aux autres entreprises non seulement l’utilisation de la même forme, mais aussi l’utilisation de formes similaires. Un nombre important de formes alternatives risquent ainsi de devenir inutilisables pour les concurrents dudit titulaire (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C 48/09 P, EU:C:2010:516, point 56) ».
Le motif absolu de refus d’enregistrement d’une marque constituée d’une forme dès lors qu’elle est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique est donc susceptible de s’appliquer « aux signes constitués par la forme d’un produit dont la représentation graphique ne révèle pas l’intégralité des éléments nécessaires à la mise en œuvre de la solution technique concernée, pour autant qu’il soit établi que cette mise en œuvre ne pourrait être effective sans les caractéristiques essentielles qui sont visibles sur ladite représentation graphique ».
A défaut, il suffirait, dans la représentation graphique, de masquer une caractéristique sans laquelle cette fonction technique ne pourrait pas être exécutée. L’objectif que les concurrents puissent utiliser des solutions techniques qui ne sont pas, ou plus, protégées par un brevet ne serait ainsi donc pas atteint.
Le Tribunal conclut qu’en l’espèce, « dès lors que les deux caractéristiques de la marque contestée qui ont été correctement qualifiées d’essentielles par la chambre de recours, en l’occurrence la forme globale du cube, d’une part, et les lignes noires et les petits carrés sur chaque face du cube, d’autre part, sont nécessaires à l’obtention du résultat technique recherché par le produit concret concerné (…) », il convient de conclure qu’elle ne peut être enregistrée.
Cette décision confirme donc la décision de la CJUE de 2016 tout en permettant de comprendre les modalités pratiques d’application du principe selon lequel les formes nécessaires à l’obtention d’un résultat technique ne peuvent être enregistrées comme marque. Cela ne doit toutefois pas faire perdre de vue l’intérêt que peut représenter le dépôt d’une marque constituée d’une forme dans le cadre d’une organisation plus générale de la protection de produits ou d’éléments distinctifs d’un concept.
Trib. UE, 24 oct. 2019, aff. T-601/17 Rubik’s Brand Ltd c/ EUIPO
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