Condamnation d’une société du secteur de l’énergie sur le fondement du déséquilibre significatif
La Cour d’appel de Paris a condamné une société du secteur de l’énergie à une amende civile de 2 millions d’euros sur le fondement du déséquilibre significatif, en tenant compte notamment de procès-verbaux anonymisés de déclarations des fournisseurs, corroborés par d’autres éléments de preuve.
Par un arrêt en date du 12 juin 2019, la Cour d’appel de Paris donne une illustration de l’application de l’ancien article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, devenu l’article L. 442-1, I, 2°, suite à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, à d’autres secteurs que la grande distribution, en l’occurrence le secteur d'activité de la fabrication et de la commercialisation de turbines destinées au domaine de l'énergie.
Il est également intéressant en ce que, pour qualifier la pratique de soumission ou de tentative de soumission d’un cocontractant à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, les juges vont se fonder sur des procès-verbaux anonymisés de déclarations de fournisseurs, établis par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF).
En l’espèce, la DGCCRF avait mené une enquête auprès de fournisseurs et sous-traitants de la société GE Energy Products France spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de turbines à gaz destinées à la production d'énergie (ci-après « GEEPF »). A la suite, le Ministre chargé de l'économie a assigné cette société sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, dans sa rédaction applicable, considérant que les deux clauses suivantes, figurant dans certains contrats conclus entre la société GEEPF avec certains de ses cocontractants, créeraient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties :
- la clause « Acceptation de la commande », présente dans les conditions générales d’achat (CGA) de la société GEEPF et prévoyant l'exclusion des conditions générales de vente (CGV) des fournisseurs ;
- la clause « Paiements » des CGA de la société GEEPF et les clauses « Rémunération » du contrat type de prestation de services et « Prix et paiement » du contrat type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé.
S’agissant de la recevabilité des procès-verbaux anonymisés de déclarations de fournisseurs produits par le Ministre de l'économie, les juges d’appel jugent que si les procès-verbaux ne pouvaient être utilement communiqués dans leur version intégrale, à défaut d’autorisation spéciale d'un juge dans le cadre de la procédure relative à la protection du secret des affaires, le Ministre de l’économie pouvait toutefois les produire en occultant certaines mentions permettant l’identification des fournisseurs. La Cour d’appel de Paris examine donc les procès-verbaux anonymisés uniquement sous l'angle de la valeur probante, à l’exclusion de toute appréciation sur le bénéfice de la protection du secret des affaires, en estimant que ce procédé est justifié par la nécessité de démontrer l'absence de négociation effective entre les parties sans risquer de provoquer des représailles à l’encontre des fournisseurs, et qu’il ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense. A cet égard, la Cour relève notamment que les procès-verbaux sont dressés par des agents assermentés et portent sur des questions dont la société GEEPF a connaissance et auxquelles elle peut répondre.
Pour tenir compte de ces déclarations anonymisées, la Cour précise que celles-ci sont toutes concordantes et ne constituent pas les seuls éléments de preuve.
S’agissant des deux clauses concernées, la Cour juge que celles-ci sont constitutives d’un déséquilibre significatif dès lors que :
- sur la première clause, il est démontré que les relations entre la société GEEPF et 50% de ses fournisseurs sont établies à partir de l'offre de la société GEEPF et non à partir de celle du fournisseur, de sorte que l'initiative de la négociation prévue par l’article L. 441-6 du code de commerce (devenu l’article L. 441-3 du Code de commerce), prévoyant que les CGV constituent le socle unique de la négociation commerciale, est inversée, à partir d'un modèle-type, figurant dans chacun des contrats, faisant ainsi ressortir que la société GEEPF a imposé ses conditions d'achat à ses fournisseurs, sans possibilité de négociation ;
- sur la seconde clause :
o les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels les fournisseurs peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement ;
o les taux pratiqués réduisent de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs sans que cette réduction ne correspondent à une prestation quelconque de la société GEEPF et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat ;
o enfin, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants.
En conséquence, la Cour d’appel de Paris condamne la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros et l’enjoint de cesser les pratiques incriminées à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats les clauses visées ci-dessus.
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