mardi 18 octobre 2016

Bail commercial / ERP : qui doit payer les frais de mise aux normes de l’accessibilité ?

L’administration peut désormais sanctionner les exploitants d’ERP non accessibles aux handicapés. Mais qui doit payer le coût de ces travaux ?

Rappelons que depuis la publication du décret du 11 mai 2016, le dispositif législatif et réglementaire relatif à l’agenda d’accessibilité programmée est désormais complet et que l’administration peut demander des comptes aux gestionnaires ou propriétaires d’établissements recevant du public (ERP) dont le ou les établissement(s) ne sont ni accessibles ni entrés dans le dispositif d’agenda programmé (voir notre article sur l’agenda d’accessibilité programmée des ERP aux handicapés).

La loi Pinel du 18 juin 2014 règlemente la répartition des charges et travaux, de sorte que pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 20 juin 2014, le bailleur ne peut plus imposer l’intégralité de ceux-ci au preneur.

Cette loi ne s’est malheureusement pas expressément prononcée sur la prise en charge des travaux de mise aux normes et en particuliers, des travaux d’accessibilité.

Toutefois, les règles de répartition de ces travaux découlent de l’application combinée des règles de droit commun du bail, de la loi Pinel et de son décret d’application, ainsi que des dispositions du bail commercial pour autant qu’elles soient compatibles avec les dispositions impératives législatives et règlementaires.

Plusieurs hypothèses peuvent se présenter.

1ère hypothèse : Votre bail commercial ne prévoit rien quant à la charge des travaux de mise aux normes ou travaux prescrits par l’administration

Dans cette hypothèse et en l’absence de clause contraire, c’est au bailleur que revient la charge des travaux de mise aux normes.

En effet, en vertu de l’article 1719-2 du code civil, le propriétaire a l’obligation d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée : le bailleur a une obligation de délivrance qui l’oblige à remettre au preneur un local conforme à sa destination, c’est-à-dire à l’activité spécifiée dans le contrat de bail commercial. Ainsi, selon la jurisprudence « en application de l’article 1719-2 du Code civil, les travaux prescrits par l’autorité administrative sont, sauf stipulation contraire expresse, à la charge du bailleur qui doit supporter la mise en conformité des lieux à leur destination contractuelle » (Cass.,  civ. 3e, 15 juin 2010 ; n° 09-12187, cass. civ. 3e, 31 Mars 2016 - n° 14-28.939).

2ème hypothèse : Votre bail commercial, conclu ou renouvelé AVANT le 5 novembre 2014, comporte une clause mettant expressément à la charge du preneur les travaux d’accessibilité ou plus généralement les travaux prescrits par l’administration

Aux termes d’une jurisprudence bien établie (malgré quelques hésitations antérieures à 1996), il est désormais admis que le bailleur peut valablement imputer au preneur la charge des travaux prescrits par l'Administration, sous réserve que la clause du bail soit expresse, c’est-à- dire suffisamment explicite (Cass. 3e civ., 1er juin 1999 : JurisData n° 1999-002278. – Cass. 3e civ., 19 déc. 2001, n° 00-12.561 : JurisData n° 2001-012369 ; Loyers et copr. 2002, comm. 90. – Cass. 3e civ., 19 nov. 2003, n° 01-17.139 : JurisData n° 2003-021119).

La jurisprudence écarte les clauses qui sont insuffisamment claires. Ainsi, en matière de travaux de sécurité, la Cour de cassation a considéré qu’une clause prévoyant une liste de transfert au preneur de tous travaux de réparation, imposant notamment de « remplacer tous éléments défectueux par suite (…) de force majeur ou dont le remplacement sera imposé ou recommandé par mesures administratives » ne constituait pas une clause expresse mettant à la charge du preneur les travaux de sécurité prescrits par l'autorité administrative (Cass. 3e civ., 13 nov. 2012, n° 11-22.716 : JurisData n° 2012-025984 ; JCP E 2012, 1771I. – V. n° 31).

Pour que les travaux de mise aux normes d’accessibilité incombent au preneur il faut donc que soit clairement écrit que le preneur s'engage à prendre en charge le coût de tels travaux de mise aux normes prescrits par l'autorité administrative.

Ainsi il a été jugé que les clauses suivantes, insuffisamment explicites, n’imposaient pas au preneur la prise en charge des travaux de mise aux normes prescrits par l’autorité administratives:

-     la clause stipulant que le preneur prend les lieux dans l'état où ils se trouvent lors de l'entrée en jouissance, qu'il prend à sa charge toutes les transformations et réparations nécessitées par l'exercice de son activité (Cass. 3e civ., 19 juin 2002, n° 01-01.769 : JurisData n° 2002-014947) ;

-    la clause mettant à la charge du preneur tous les travaux de réparation et d'entretien (CA Nancy, 2e ch. civ., 24 févr. 2000 : JurisData n° 2000-123165) et d'aménagement nécessaires à son exploitation (CA Montpellier, 5e ch. A, 8 oct. 2001 : JurisData n° 2001-163639) ;

-    la clause du bail qui fait obligation au preneur de se conformer à tous les règlements et à toutes prescriptions administratives de la ville, de police et voirie concernant les lieux loués et le commerce de la société preneuse ainsi qu'à toutes prescriptions de l'autorité pour cause d'hygiène et salubrité, de faire effectuer à ses frais tous travaux d'aménagement qui pourraient être ordonnés de ce chef, le tout de manière à ce que les bailleurs ne soient jamais inquiétés, ni recherchés à ce sujet (CA Paris, pôle 5, ch. 3, 6 juin 2012 : JurisData n° 2012-020265) ;

-    la clause prévoyant que le preneur aménagera les locaux mis à sa disposition pour en faire un local légalement exploitable pour son activité ou qu'il devra satisfaire à toutes les réglementations (CA Paris, pôle 5, ch. 3, 18 juin 2014, n° 12/15721 : JurisData n° 2014-014554).

Ainsi, si votre bail est insuffisamment précis, vous pouvez faire valoir la prise en charge des travaux par le bailleur, au titre de son obligation de délivrance (article 1719 du code civil).

Enfin, on relèvera 2 arrêts intéressants de la Cour d’Appel de Rennes, laquelle a considéré qu’au vu des termes du bail commercial, la clause d’exonération du bailleur ne pouvait jouer que pour les seuls travaux prescrits par l’administration après la conclusion du bail commercial  (CA Rennes, 13 oct. 1999 : JurisData n° 1999-104932. – CA Rennes, 22 sept. 1999 : JurisData n° 1999-104925):
« L’emploi du futur systématique marque bien la limite des engagements du preneur en sorte que l’appelante ne peut lui opposer le fait que, ayant pris l’engagement de faire son affaire du respect de la législation en cours du bail, de l’exécution des travaux requis par celle-ci et de l’obtention des autorisations nécessaires à l’exercice de son activité (…), ces engagements n’ont pu prendre effet qu’au lendemain de la prise de possession d’un local réputé, en son état actuel, conforme aux normes et apte à permettre l’exercice de l’activité sans crainte de voir une quelconque menace de fermeture s’annoncer dans le mois de l’ouverture ».

Il s’agit toutefois d’arrêts d’espèce fondés sur la rédaction précise de la clause, dont on ne saurait en l’état de la jurisprudence, déduire une règle générale.

3ème hypothèse : Votre bail commercial, conclu ou renouvelé APRES le 5 novembre 2014, comporte une clause mettant expressément à la charge du preneur les travaux d’accessibilité ou plus généralement les travaux prescrits par l’autorité administrative

Par un décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 et publié au Journal Officiel le 5 novembre suivant, appelé parfois « le décret charges » le gouvernement est venu apporter au statut des baux commerciaux des précisions attendues depuis l’intervention de la loi Pinel du 18 juin 2014 (complète en particulier l’article L 145-40-2 du code de commerce relatif aux travaux et charges).

Si votre bail ou renouvellement a été conclu après le 5 novembre 2014, la solution précitée à l’hypothèse 2 demeure, à ceci près :

L’article R. 145-35 du code commerce issu du décret charges interdit désormais de répercuter sur le locataire les dépenses suivantes :

« Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du Code civil (…)

Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu'ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l'alinéa précédent ».

Ainsi, faut-il désormais distinguer selon la nature des travaux en question :

-    Les travaux de mise en conformité ne relevant pas de l’article 606 du code civil pourront incomber au preneur si le bail le prévoit expressément (application de la jurisprudence précitée).

-    Au contraire, les travaux de mise en conformité ayant la nature de grosses réparations au sens de l’article 606 du code civil, resteront nécessairement à la charge du bailleur, malgré toute clause contraire (laquelle serait réputée non écrite).

Pour mémoire, les travaux visés par l’article 606 du code civil sont les suivants : « Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. »

L’interprétation de l’article 606 au regard des travaux de mise en conformité suscite déjà un contentieux abondant et son application aux normes d’accessibilité handicapé continuera certainement de l’alimenter.

De notre point de vue, dès lors que les travaux affecteraient les gros murs (murs porteurs, murs de façade), ils devraient entrer dans cette catégorie et rester nécessairement à la charge du propriétaire, malgré toute clause contraire, qui serait réputée non écrite.

Ajoutons que la liste de l’article 606 du code civil fait parfois l’objet d’une interprétation extensive par les tribunaux. Ainsi par exemple a-t-il été jugé que les travaux de désamiantage sont des grosses réparations au sens de l’article 606 du code civil (CA Rennes, 15 oct. 1998 : JurisData n° 1998-045100).

Il nous semble que par exemple, des travaux d’accessibilité incluant un agrandissement de la porte d’entrée en façade ou l’installation d’un ascenseur qui affecterait les gros murs devraient être qualifiés de travaux relevant de l’article 606 du code civil et comme tels, à la charge du bailleur nonobstant clause contraire.

Pour finir, en cas d’inexécution des travaux par le bailleur, le preneur pourra invoquer les dispositions du nouvel article 1217 du Code civil, lequel liste désormais les sanctions que peut invoquer la partie victime d’inexécution contractuelle.

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