Un mandat de gestion immobilière irrégulier peut être ratifié
lundi 23 octobre 2017

Un mandat de gestion immobilière irrégulier peut être ratifié

Revirement de jurisprudence en matière de nullité des mandats de gestion immobilière

La Cour de cassation vient d’opérer un revirement de jurisprudence notable en admettant que le non-respect des exigences de forme du mandat de gestion immobilière est sanctionné par la nullité relative et qu’en l’absence de contestation, cette nullité a pu être couverte par voie de ratification a posteriori. 

Pour cerner la portée de cet arrêt, il convient tout d’abord de le situer dans son contexte légal et jurisprudentiel. 

Contexte jurisprudentiel et légal de l’arrêt n°16-12906 du 20 septembre 2017 

Rappelons que jusqu’à 2017, la Cour de cassation jugeait que les dispositions d’ordre public de la loi dite Hoguet et de son décret du 20 juillet 1972, étaient prescrites à peine de nullité absolue (Cass. civ. 22 mars 2012, n°15-20411, Cass. civ. 2 décembre 2015 n°14-17211).

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, a consacré le critère de distinction jurisprudentielle entre nullité absolue et nullité relative fondé sur la nature de l’intérêt protégé. L’ordonnance énonce en effet que :

- la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général,

- la nullité est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé 

(article 1179 nouveau du code civil).

Cette évolution du droit des obligations a conduit la chambre mixte de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 février 2017, à apprécier différemment l’objectif poursuivi par le législateur de la loi Hoguet en cernant, précisément, celui de chaque disposition légale

Comme le relève le rapporteur Fabienne VERDUN, « cette nouvelle donne impose de repasser chaque prescription formelle régissant le mandat d’agent immobilier au crible de l’intérêt protégé, en considération de la réforme du droit des obligations et de l’émergence de nouveaux mécanismes de régulation de la profession (formation continue, code de déontologie, organes disciplinaires) afin de déterminer la sanction de chaque irrégularité formelle, et s’il s’agit d’une nullité expresse ou virtuelle, sa nature absolue ou relative ».

Ainsi, opérant déjà un important revirement de jurisprudence, cette appréciation de l’objectif poursuivi avait amené la chambre mixte à décider que les prescriptions formelles de la loi Hoguet, visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire et qu’en conséquence, leur méconnaissance devait être sanctionnée, non pas par une nullité absolue, mais par une nullité relative.

Quel est l’intérêt de cette distinction entre nullité relative et nullité absolue ?

En premier lieu, la nature de la nullité détermine les titulaires du droit de revendiquer la nullité de l’acte :

- la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, 

- alors que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la disposition transgressée entend protéger (en l’espèce, la locataire, tiers au contrat de mandat, ne pouvait donc pas se prévaloir de la nullité).

En second lieu et en conséquence de ce qui précède, l’acte entaché d’une nullité absolue ne peut être ratifié a posteriori par les parties, alors que l’acte entaché de nullité relative peut l’être (articles 1180 et 1181 du code civil). 

En d’autres termes, la nature de la nullité influe sur le caractère « remédiable » ou non de la nullité, par voie de confirmation du mandat nul, ou de ratification des actes accomplis par le mandataire.

L’arrêt n°16-12906 du 20 septembre 2017 

Un propriétaire a confié la gestion locative de deux immeubles lui appartenant à un agent immobilier, exerçant sous l’enseigne Cogestra, selon un mandat écrit d’une durée d’un an, renouvelable par tacite reconduction jusqu’au 1er janvier 1999. Le cabinet de gestion cessionnaire d’une partie du portefeuille du mandataire, a poursuivi la gestion locative des deux immeubles pour le compte des héritiers du mandant décédé jusqu’à ce que ces derniers mettent un terme à cette mission.

Les héritiers, soutenaient qu’entre 2000 et 2007, l’agent immobilier avait géré les immeubles sans détenir de mandats écrits, de sorte qu’il n’avait droit à aucune rémunération ni indemnisation, et l’ont assigné en restitution des honoraires indûment payés durant cette période. 

La cour d’appel de Versailles avait débouté les héritiers de toutes leurs demandes.

Elle avait retenu, en substance, que les mentions du registre tenu par l’agent immobilier permettait de fixer la date des mandats de gestion au 1er octobre 2001 et que, dès lors la signature d’un acte sous seing privé ne fait que matérialiser l’expression du consentement des parties sans constituer une condition de validité de l’acte, il pouvait être suppléé à l’absence de signature des consorts Aussel par le fait qu’ils avaient manifestement consenti aux mandats de gestion litigieux, en les exécutant, sans contestation, durant près de 7 ans, et en les résiliant selon les formes prévues dans les mandats enregistrés le 1er octobre 2001.

Les points de droit principaux que la Cour de cassation a eu à trancher étaient les suivants :

1. l’exigence d’un écrit signé des deux parties est-elle une condition de formation, donc de validité, du mandat de gestion immobilière ?

2. Dans l’affirmative la nullité qui s’ensuit en cas d’irrégularité est-elle absolue ou relative ?

A la 1ère question, la haute Cour a répondu positivement, censurant la Cour d’Appel de Versailles. 

Il a en effet de longue date été jugé que ni un mandat verbal, ni un mandat tacite, ni même une simple lettre ne permettaient de suppléer l’absence de mandat écrit (Civ. 1ère 27 janvier 1987 B 27 ; Civ 1ère 20 janvier 1993 B 25, Civ. 1ère 4 novembre 1986 B 246 et 8 avril 2010 n°09-12007). 

Le mandat de l’agent immobilier, qu’il soit de négociation ou de gestion immobilière, n’est pas un contrat consensuel, qui se forme par la seule rencontre des volontés, mais un acte solennel (article 1109 du code civil alinéa 2 : « Le contrat est un acte solennel lorsque sa validité est subordonnées à des formes déterminées par la loi »).

Dès lors, pour répondre à la 2ème question, la chambre civile a recherché, comme y invitait l’arrêt de la Chambre mixte du 24 février 2017, si le formalisme du mandat est imposé à peine de nullité relative ou absolue, en s’interrogeant sur la nature de l’intérêt, général ou privé, que protège cette prescription. 

L’avocat général André RIDE considérait que le formalisme du mandat avait pour but la protection de l’intérêt général sanctionné par la nullité absolue, donc insusceptible d’être couvert par une ratification. Il préconisait toutefois de débouter les héritiers sur le fondement de leur mauvaise foi. 

La 1ère chambre civile n’a pas suivi ces préconisations. Analysant l’intention du législateur, elle conclut à la nullité relative

La formule mérite d’être reproduite :

« l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, d’après laquelle la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général et relative lorsque cette règle a pour objet la sauvegarde d’un intérêt privé, a conduit la Cour de cassation à apprécier différemment l’objectif poursuivi par certaines des prescriptions formelles que doit respecter le mandat de l’agent immobilier et à décider que, lorsqu’elles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire, leur méconnaissance est sanctionnée par une nullité relative (Ch. mixte, 24 février 2017, pourvoi n° 15-20.411, en cours de publication) ; que, dans les rapports entre les parties au mandat, le non-respect du formalisme légal du mandat, qui a pour objet la sauvegarde des intérêts privés du mandant, entraîne une nullité relative, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat. »

Ainsi, dans l’arrêt rendu le 20 septembre 2017, la 1ère chambre civile pousse le raisonnement amorcé par la chambre mixte dans son arrêt du 24 février 2017 et en tire les conséquences : le non-respect du formalisme légal du mandat est sanctionné par la nullité relative et peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat.

En l’espèce, la haute juridiction constatait que les propriétaires héritiers avaient poursuivi leurs relations avec le mandataire de gestion, sans contester la qualité des prestations fournies, les conditions de rémunération, dont l'agent immobilier leur a rendu compte de façon régulière et détaillée. 

La 1ère chambre civile en déduit que les héritiers avaient ratifié, en connaissance de cause, les actes et le coût de cette gestion locative. 

Portée de l’arrêt

Si la solution du présent arrêt devait être généralisée au formalisme du mandat, la portée de ce revirement pourrait remettre en cause une bonne part de l’édifice jurisprudentiel actuel.

Ceci reviendrait à affirmer que, dès lors qu’une règle de forme sanctionnée par la nullité a pour but de protéger un intérêt privé, cette nullité est ensuite couverte si la personne que le législateur a entendu protéger a expressément ou tacitement approuvé l’acte litigieux en continuant de l’exécuter sans protester.

Mais l’arrêt du 20 septembre 2017 suscite également des questions sur l’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours.

Rappelons que l’article 9 alinéa 2 de l’ordonnance énonce qu’à l’exception de 3 dispositions d’application immédiate, les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme, restent régit par la loi ancienne.

Pourtant, la 1ère chambre civile, a l’instar de la chambre mixte dans l’arrêt du 27 février précité, fonde sa solution sur « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », laquelle est postérieure à la date de formation du mandat litigieux.

Notons également que dans un arrêt n°16-20.103 rendu le 21 septembre dernier par la chambre sociale, la Cour de cassation s’est également appuyée sur l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance de 2016 pour considérer que celle-ci « conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail. »

Est-ce à dire pour autant que la Cour de cassation balaie d’un revers de manche le principe de la non application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, et en particulier l’article 9 alinéa 2 de l’ordonnance ?

De notre point de vue, il faut se garder de conclusions hâtives car en réalité, la distinction entre nullité relative et nullité absolue fondée sur l’intérêt que le législateur a entendu protéger, n’est pas une norme nouvelle de 2016. L’ordonnance n’a fait sur ce point que consacrer une solution jurisprudentielle déjà admise depuis longtemps. 

Quant à la chambre sociale, elle ne fait qu’apprécier la situation juridique au regard de l’ordonnance, ce qui ne revient pas à appliquer une norme nouvelle qui serait contraire à une norme ancienne. 

Il serait donc sans doute plus juste de dire que la Cour de cassation interprète les lois, à la lumière des dispositions nouvelles de l’ordonnance de 2016, y compris aux contrats et aux faits antérieurs à l’entrée en vigueur de celle-ci (1er octobre 2016).

Civ. 1ère, 20 septembre 2017 n°16-12.906

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