La réforme des tribunaux des activités économiques : vers une nouvelle approche de la justice économique ?
jeudi 30 janvier 2025

La réforme des tribunaux des activités économiques : vers une nouvelle approche de la justice économique ?

L'article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, dite loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, prévoit que certains tribunaux de commerce sont, à titre expérimental, renommés tribunaux des activités économiques à compter du 1er janvier 2025. 

Outre cette nouvelle dénomination, la compétence des TAE, leur composition mais également l’instauration d’une contribution financière à régler pour accéder à l’office du juge méritent de prêter une attention particulière à cette réforme et à ses implications. 

I- LA CREATION DES TRIBUNAUX DES ACTIVITES ECONOMIQUES 

  

1. Une nouvelle dénomination 

Pour une durée de quatre ans, sont renommés tribunaux des affaires économiques (TAE) les tribunaux de commerce des douze villes suivantes : 

- Avignon, 
- Auxerre, 
- Lyon, 
- Limoges, 
- Le Mans, 
- Le Havre, 
- Marseille, 
- Nancy, 
- Nanterre, 
- Paris, 
- Saint-Brieuc, 
- Versailles. 

Ce changement de dénomination emporte deux conséquences de forme : 

- Les clauses attributives de compétence au profit de l’un des anciens tribunaux de commerce situés dans une de ces douze villes doivent désormais viser le « tribunal des activités économiques » et non plus le « tribunal de commerce » ; 

- Les actes judiciaires doivent être adressés au « tribunal des activités économiques » et non plus au « tribunal de commerce ». 


2. La compétence matérielle des TAE



Les TAE demeurent compétents pour statuer sur les litiges relevant de la compétence du tribunal de commerce (article L.721-3 du Code de commerce). 

Toutefois, la loi leur accorde une compétence exclusive en matière de procédures amiables et de procédures collectives. 

  • Une compétence exclusive des TAE en matière de droit des entreprises en difficulté : 


Pour toute procédure introduite à compter du 1er janvier 2025, les TAE ont compétence exclusive pour statuer sur : 

- Les procédures d'alerte qui correspondent aux procédures préventives permettant de détecter au plus tôt les difficultés économiques d’une entreprise ; 
- Les procédures amiables que sont la procédure de conciliation et le mandat ad hoc ; 
- Les procédures collectives que sont la procédure de sauvegarde, la procédure de redressement judiciaire et la procédure de liquidation judiciaire. 

Il convient de préciser que les procédures d’alerte et les procédures amiables relèvent de la compétence du président du TAE, alors que les procédures collectives relèvent de la compétence du TAE. 

  • Une extension de compétence des TAE à certains litiges connexes ou spéciaux : 
 


La compétence matérielle des TAE est étendue à toutes les actions et contestations relatives aux baux commerciaux nées d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire à condition que ces procédures présentent entre elles « des liens de connexité suffisants ». 

La loi ne définit pas ces « liens de connexité suffisants ». Toutefois, à la lumière de ce que prévoit l’article 101 du Code de procédure civile, disposition commune à toute juridiction, le lien de connexité doit s’entendre du lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de faire instruire et juger des affaires ensemble. 

Par ailleurs, lorsque le TAE est anciennement un tribunal de commerce spécialisé pour connaître de la procédure amiable ou collective d’un débiteur exerçant une activité commerciale ou artisanale en application de l’article L.721-8 du Code de commerce, il connaît des procédures mentionnées à cet article, à savoir notamment : 

- Des procédures collectives de certains débiteurs répondant aux conditions précisées par le texte ; 
- Des procédures d’insolvabilité principales ouvertes à l’égard d’un débiteur possédant un établissement sur le territoire d’un autre Etat membre ; 
- Des procédures pour l’ouverture desquelles la compétence internationale du tribunal résulte de la présence dans son ressort du centre principal des intérêts du débiteur. 



  • L’exclusion des professions juridiques réglementées de la compétence des TAE : 

Les TAE ne sont pas compétents pour connaître de la procédure amiable ou collective ouverte à l’encontre d’une personne exerçant une profession juridique réglementée, à savoir : les avocats, les notaires, les commissaires de justice, les greffiers du tribunal de commerce, ainsi que les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires. 

Le tribunal judiciaire demeure compétent pour en connaître. 

3. Les implications de la création de juridictions spécialisées exclusivement compétentes 


Dès lors, il n'existe plus, sauf en ce qui concerne les professions juridiques réglementées, de distinction selon la nature de l'activité ou le statut du débiteur. Or, cette distinction permettait, antérieurement au 1er janvier 2025, de déterminer lequel du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce était compétent. 

Cette centralisation des litiges au sein des TAE devrait s’accompagner d’une harmonisation dans leur traitement, quels que soient le statut du débiteur et le secteur d’activité concerné, pour davantage de cohérence et de prévisibilité des décisions. 

L'objectif de cette spécialisation est de moderniser la justice économique en France et de simplifier les procédures par une centralisation de la gestion de litiges économiques complexes. L’expérimentation vise à réduire les incertitudes et les délais de procédure, en vue notamment de sauvegarder la confiance des investisseurs et d’améliorer l'attractivité du marché français pour les entreprises étrangères. Il pourrait également en résulter une amélioration de la protection des créanciers par une meilleure évaluation des risques et des enjeux financiers liés à ces contentieux. 

A toutes fins utiles, il convient de préciser que le droit applicable dans le cadre de ces procédures n'est pas modifié devant le TAE

II- LA COMPOSITION DES TAE 

Les TAE sont composés : 

- De juges élus du tribunal de commerce ; 
- De juges exerçant la profession d'exploitant agricole ; 
- D’un greffier. 

La loi ne limite pas cette nouvelle composition aux seuls litiges relevant de la compétence exclusive des TAE. Faute de distinction, il faut considérer qu’elle s’applique à toute instance. 


1. La présence de juges exerçant la profession d’exploitant agricole 

  • Les règles de désignation des juges exploitants agricoles 


La nouveauté introduite par la réforme concerne la présence de juges exerçant la profession d’exploitant agricole au sein des TAE

Les juges exerçant la profession d’exploitant agricole sont choisis sur une liste de candidats présentée par le premier président de la cour d’appel sur proposition de la chambre d’agriculture départementale et sont nommés par le ministre de la justice. 

La loi prévoit expressément que leurs fonctions cesseront à l’issue de l’expérimentation. 

  • Les garanties présentées par les juges exploitants agricoles : 

Les juges exploitants agricoles sont soumis aux dispositions régissant le statut des juges des tribunaux de commerce (articles L. 722-6-1 à L. 722-10, L. 722-14 à L. 722-16 et L. 722-18 à L. 722-21 du Code de commerce), lesquelles prévoient en substance : 

- Des règles d’incompatibilité ; 
- De prêter serment avant leur entrée en fonctions. 

Lorsqu’une formation de jugement comprend un juge exploitant agricole, ce dernier siège en qualité d’assesseur après avoir suivi une formation initiale préalable à sa prise de fonctions. 

La loi prévoit que tout manquement d’un assesseur exploitant agricole « aux devoirs de son état, à l’honneur, à la probité ou à la dignité » constitue une faute disciplinaire. Le pouvoir disciplinaire est exercé par le ministre de la justice qui peut prononcer diverses sanctions à l’encontre de l’assesseur : le blâme, la suspension de ses fonctions pour une durée maximale de six mois, la déchéance assortie de l’interdiction d’être désigné assesseur pour une durée maximale ne pouvant excéder celle de l’expérimentation, ou encore la déchéance assortie de l’interdiction définitive d’être désigné assesseur. 

Le Conseil constitutionnel1 a considéré que le siège de juges exerçant la profession d’exploitant agricole au sein des TAE ne méconnaissait pas les principes d’indépendance et d’impartialité des juges. 

En effet, le Conseil relève que ces derniers étant soumis aux mêmes obligations et garanties que celles applicables aux juges des tribunaux de commerce, il n’y a pas lieu de retenir le grief tiré de la méconnaissance du droit à un procès équitable et des droits de la défense. 

2. La spécialisation des juges composant les TAE 


Les TAE sont, comme les tribunaux de commerce, exclusivement composés de juges non professionnels.  La loi ne précise pas la proportion de juges élus du tribunal de commerce et de juges exploitants agricoles siégeant dans une formation de jugement. 

La spécialisation des juges consulaires de même que l’inclusion d’exploitants agricoles laissent présager une meilleure expertise par la connaissance des enjeux spécifiques à certains secteurs d’activité. 

Toutefois, plusieurs interrogations subsistent. 

Tout d’abord, la question se pose de la compétence exclusive d’un TAE lorsque le débiteur faisant l’objet d’une procédure amiable ou d’une procédure collective est un agriculteur. En effet, jusqu’au 1er janvier 2025, ces procédures relevaient de la compétence du tribunal judiciaire. Désormais, les agriculteurs relèvent d’une juridiction composée majoritairement de commerçants, ce qui a pu apparaître contraire au principe d’impartialité. 

A l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel susmentionnée, ce grief a été écarté. Le fait que les juges consulaires des TAE soient soumis aux mêmes dispositions que les juges consulaires des tribunaux de commerce suffit, selon le Conseil, à considérer qu’ils présentent des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité. 

Également, émergent des interrogations quant à l’allocation de ressources supplémentaires dédiées à la formation initiale obligatoire des juges exploitants agricoles.

III- L’INTRODUCTION D’UNE CONTRIBUTION POUR LA JUSTICE ECONOMIQUE  

   

L’article 27 de la loi n° 2023-1059 prévoit qu’une « contribution pour la justice économique est versée par la partie demanderesse à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office » et ce « pour chaque instance introduite devant le tribunal des activités économiques ». 

Par conséquent, et sous conditions, les demandeurs devront verser une contribution financière à peine d'irrecevabilité de la demande qui peut être prononcée d'office par la formation de jugement ou par le juge chargé de l’affaire. Sur le plan procédural, le défaut de règlement de cette contribution s’analyse en une fin de non-recevoir. 

1. Le champ d’application de la contribution

Le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique définit le champ d’application de la contribution. 

La contribution est due : 

- Par l’auteur de la demande initiale ; 
- Par tout demandeur personne physique ou personne morale de droit privé employant plus de 250 salariés ; 
- Lorsque la valeur totale des prétentions contenues dans la demande initiale, en dehors des demandes formulées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, est supérieure à 50.000€. 

La contribution n’est pas due, en toutes circonstances, par les demandeurs suivants : 

- Le ministère public, 
- L’Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, 
- Une personne physique ou morale de droit privé employant moins de 250 salariés. 

La contribution n'est pas non plus due pour les demandes suivantes : 

- Les demandes ayant pour objet l’ouverture d’une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du Code de commerce et aux articles L.351-1 à L.351-7-1 du Code rural et de la pêche maritime (procédures amiables ou collectives d’un exploitant agricole), ou les demandes qui sont formées à l’occasion de ces procédures ; 
- Les demandes incidentes, 
- Les demandes de rectification, d’interprétation ou de vérification des dépens, 
- Les demandes d’homologation d’un accord amiable, 
- Les demandes de modification, de rétractation ou de contestation d’une ordonnance sur requête. 

Par conséquent, lorsque la demande portée devant un TAE relève de sa compétence exclusive, à savoir lorsqu’elle a pour objet l’ouverture d’une procédure amiable ou collective, la contribution n’est pas due. Cette exclusion est justifiée par la spécificité de ces procédures marquées par les difficultés financières des demandeurs voire par leur état de cessation des paiements. 

2. Le calcul de la contribution 


Le décret n°2024-1225 fixe plusieurs critères pour individualiser le montant de la contribution. 

(1) Le montant total des demandes initiales : 

La contribution est calculée en proportion du montant total des demandes initiales, c’est-à-dire des demandes qui sont formulées dans l'acte introductif d'instance. 

Lorsque la demande initiale est formée par plusieurs demandeurs, la contribution est due par chacun d’eux et il convient d’apprécier la valeur totale des prétentions pour chaque demandeur. 

Le décret susvisé précise que « Les sommes demandées au titre des frais de procédure non compris dans les dépens ne constituent pas des prétentions dont la valeur doit être prise en comptepour l'assujettissement à la contribution pour la justice économique ou pour le calcul du montant de cette contribution »2

Ce même décret prévoit encore ce que ne constituent pas une demande initiale au sens de ces dispositions3 : 

- La demande tendant à l’exercice d’une voie de recours, à savoir : l’appel, l’opposition, la tierce opposition, le recours en révision et le pourvoi en cassation ; 
- La demande tendant à la modification, la rétractation ou la contestation d’une ordonnance rendue sur requête ; 
- La demande tendant à l’interprétation, la rectification ou le complément d’une précédente décision, en application des articles 461 à 463 du Code de procédure civile ; 
- L’acte de saisine du TAE en tant que juridiction de renvoi après cassation. 



(2) La capacité contributive du demandeur : 

La capacité contributive du demandeur est évaluée selon son chiffre d'affaires annuel moyen et son bénéfice annuel moyen sur les trois dernières années (pour une personne morale) ou sur son revenu fiscal de référence (pour une personne physique). 

(3) La méthode de calcul : 

Le montant de la contribution pour la justice économique est fonction de la capacité contributive de la partie demanderesse, de sa qualité de personne physique ou morale et du montant de la valeur totale des prétentions formées par elle dans l’acte introductif d’instance4

  • Pour les personnes morales : 

- Dont le chiffre d'affaires annuel moyen sur les 3 dernières années est supérieur à 50 millions d'euros et inférieur ou égal à 1.500.000 euros, et le bénéfice annuel moyen sur les 3 dernières années supérieur à 3 millions d'euros, le montant de la contribution est égal à 3% du montant de la valeur des prétentions, dans la limite d'un montant maximal de 50.000€. 

- Dont le chiffre d'affaires annuel moyen sur les 3 dernières années est supérieur est à 1.500.000 euros, et le bénéfice annuel moyen sur les 3 dernières années supérieur à 0 euros, le montant de la contribution est égal à 5% du montant de la valeur des prétentions, dans la limite d'un montant maximal de 100.000€. 

  • Pour les personnes physiques : 

- Ayant un revenu fiscal supérieur à 250.000€ et inférieur ou égal à 500.000€, le montant de la contribution est égal à 1% du montant de la valeur des prétentions, dans la limite de 17.000€. 

- Ayant un revenu fiscal supérieur à 500.000€ et inférieur ou égal à 1.000.000€, le montant de la contribution est égal à 2% de la valeur totale des prétentions, dans la limite de 33.000€. 

- Ayant un revenu fiscal supérieur à 1.000.000€, le montant de la contribution est égal à 3% de la valeur totale des prétentions, dans la limite de 50.000€. 


3. Les hypothèses de remboursement de la contribution 


La contribution est remboursée5 : 

- En cas de transaction conclue à la suite du recours à un mode amiable de résolution des différends mettant fin au litige, 
- En cas de décision constatant l’extinction de l’instance par suite d’un désistement. 

Le caractère obligatoire du paiement d'une contribution financière ouvrant droit à l'accès au juge semble s’opposer aux principes d’égal accès à la justice et de sa gratuité, consacrés à l'article L.111-2 du Code de l'organisation judiciaire. 

A l’occasion de sa décision susmentionnée, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques qui en résultait. Les députés avaient en effet soulevé une différence de traitement injustifiée entre les justiciables selon que l’affaire relève ou non d’un tribunal participant à l’expérimentation.  

Le Conseil rappelle qu’aux termes de l’article 37-1 de la Constitution, la loi peut comporter des dispositions à caractère expérimental pouvant déroger au principe d'égalité devant la loi et à d'autres exigences de valeur constitutionnelle à condition que leur objet et leurs conditions soient définis de manière suffisamment précise et que leur durée soit limitée. Le Conseil considère que la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 répond à cette première exigence. Il en ressort que le grief tiré de l'inégalité de traitement entre les justiciables doit nécessairement être écarté car il est une conséquence nécessaire de la mise en œuvre de l'expérimentation. 

Un questionnaire de satisfaction est mis à disposition au sein de chaque TAE pour recueillir l'avis des justiciables concernés d'ici au 1er juillet 2028. Une évaluation sera ainsi réalisée par un comité composé d'experts et de parlementaires afin de mesurer l'impact des TAE sur la gestion des contentieux économiques.


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