Rupture brutale et faible part de chiffre d’affaires réalisée avec l’auteur de la rupture
Eu égard à la faible part du chiffre d'affaires réalisé par le licencié avec le concédant (10 % de son chiffre d'affaires total), à l'ancienneté des relations commerciales de 13 ans, à la nature de l'activité, à son rythme saisonnier, aux spécificités du marché de l'horlogerie, au volume d'affaires et à défaut de justification d'investissements dédiés importants, un délai de préavis de 6 mois est suffisant pour permettre au licencié de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser, de sorte que la rupture intervenue n'est pas brutale.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 6 juin 2018 conforte la jurisprudence selon laquelle la durée du préavis devant être accordé en cas de rupture d’une relation commerciale établie, ne saurait être apprécié par rapport à la seule durée de la relation en cause.
En effet, si l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce impose de respecter, en cas de rupture d’une relation commerciale établie, un préavis écrit « tenant compte de la durée de la relation commerciale », d’autres facteurs sont pris en compte par les tribunaux pour apprécier le caractère raisonnable d’un préavis.
Il en est ainsi de l’existence ou de l’absence d’exclusivité, du secteur d’activité, de la nature de l’activité, de l’existence ou non d’investissements spécifiques, de la saisonnalité du produit, ou encore de l’importance du chiffre d’affaires réalisé avec l’auteur de la rupture, comme vient l’illustrer l’arrêt du 6 juin 2018.
Les faits de l’espèce sont les suivants.
Par un contrat de licence, une société (ci-après le « Concédant ») a conféré à une autre société (ci-après le « Licencié ») le droit exclusif de fabriquer et de distribuer des montres sous des marques dont le Concédant était titulaire ou licencié.
La relation commerciale entre les parties était constituée d'une succession de trois contrats à durée déterminée (5 ans, 5 ans et 3 ans), dont le dernier a été renouvelé tacitement pour une année.
Le Concédant a notifié au Licencié la fin de leur relation contractuelle, en respectant le préavis de 6 mois, conformément aux stipulations contractuelles.
S'estimant victime d'une rupture brutale de relation commerciale établie, le Licencié a assigné le Concédant devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'indemnisation. Reconventionnellement, le Concédant a sollicité le paiement de quatre factures impayées d’un montant de 263.975 euros HT.
Par jugement du 5 juin 2013, le Tribunal de commerce de Paris, a débouté le Licencié de l'ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer au Concédant plusieurs sommes au titre de certaines factures impayées.
Le Licencié a fait appel du jugement rendu aux fins de voir le jugement rendu infirmé et voir condamner le Concédant à lui verser notamment la somme de 1.500.810,16 euros au titre de la perte de marge brute que le Licencié aurait subi à raison de la rupture brutale de la relation commerciale au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
En d’autres termes, selon le Licencié, le Concédant aurait dû lui accorder un préavis supérieur au préavis de 6 mois lui ayant été accordé.
A l’appui de sa prétention, le Licencié soutenait en substance :
- que la rupture présentait un caractère imprévisible en se prévalant notamment d’une concession de licence sur trois marques en 2006 alors que le précédent contrat ne portait que sur une marque, et de l'envoi par le Concédant, pendant l’année précédant la rupture, d'une proposition d'avenant ;
- que le préavis contractuel de 6 mois dont elle a bénéficié était insuffisant au regard de l'ancienneté de la relation commerciale entre les deux sociétés, d’une durée de 13 ans (ce qui n’était pas contesté), et que le Concédant aurait dû lui accorder un préavis d'une durée de 18 mois.
La Cour d’appel refuse de faire droit à la demande du Licencié.
Elle relève en premier lieu que la décision de non renouvellement du contrat par le Concédant n’était pas imprévisible, dès lors qu'en 2006 comme en 2003, seule la licence d’une marque a été concédée et que le projet d'avenant, non signé par le Licencié, n'avait pas pour objet de générer de nouveaux droits pour l'avenir mais de régulariser la situation actuelle de distribution des Produits par le Licencié.
En second lieu, la Cour d’appel relève :
- qu'au moment de la rupture, la part du chiffre d'affaires du Licencié généré par l'activité avec le Concédant était de l'ordre de 10 % son chiffre d'affaires total ;
- le Licencié ne démontre pas avoir dû procéder à des investissements spécifiques pour la fabrication et la commercialisation des montres sous la marque concédée par le Concédant, ni que ce dernier bénéficie, dans le domaine de l'horlogerie, d'une notoriété telle que cette marque aurait constitué « le fer de lance » du Licencié.
Ainsi, selon la Cour, « eu égard à ces éléments, à l'ancienneté des relations commerciales de 13 ans, à la nature de l'activité, à son rythme saisonnier, aux spécificités du marché de l'horlogerie, au volume d'affaires et à défaut de justification d'investissements dédiés importants, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué à 6 mois le délai de préavis suffisant pour permettre [au Licencié] de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser, de sorte que la rupture intervenue n'est pas brutale. »
S’il ressort de la jurisprudence une tendance à retenir en moyenne un préavis d’un mois par année d’ancienneté, cet arrêt montre comment le préavis a également vocation à être réduit par la prise en compte d’autres facteurs, tels que par exemple, le fait que le partenaire évincé réalise une faible part du chiffre d’affaire auprès de l’auteur de la rupture, l’idée étant que moins la part de chiffres d’affaires est importante, moins l’entreprise aura besoin de temps pour se réorganiser.
CA Paris, 6 juin 2018, n° 16/08019
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