Application de l'article L. 442-6 du Code de Commerce au profit d'une victime d'une rupture de relations commerciales établies située à l'étranger
Dans un arrêt en date du 6 décembre 2017, la Cour de cassation approuve une cour d’appel d’avoir retenu l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce au profit d’une victime de rupture brutale de relations commerciales établies située à l’étranger.
En l’espèce, une société française, exerçant l'activité de fabrication de menuiseries, s'approvisionnait en vitrages, depuis l'année 2001, auprès d’une société de droit italien. Invoquant des non-conformités affectant des commandes passées en 2008 et 2009, la société française a refusé d'en acquitter le règlement et cessa de s’approvisionner auprès de la société italienne.
Estimant ce refus injustifié et lui reprochant une rupture brutale de leur relation commerciale, la société italienne assignait la société française en paiement de ses factures et en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Parallèlement, la société française assignait la société italienne en réparation de divers préjudices qu’elle aurait subis du fait de livraisons qu’elle jugeait non conformes.
Par arrêt en date du 18 février 2016, la Cour d'appel de Lyon a déclaré prescrite en son action la société française concernant les livraisons effectuées par la société italienne avant le 22 juillet 2008 et a condamné la société française à réparer le préjudice subi par la société italienne au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
La société française a formé un pourvoi devant la Cour de cassation et soulevait deux moyens.
Le premier moyen du pourvoi, par lequel la société française reprochait à la Cour d’appel de Lyon de l’avoir déclarée prescrite en son action concernant les livraisons effectuées par la société italienne avant le 22 juillet 2008 au motif que l’article 1495 du Code civil italien, prévoyant une prescription annale de l'action contre le vendeur à compter de la livraison, serait contraire à l'ordre public international, est rejeté par la Cour de cassation.
Par le second moyen, qui retiendra davantage notre attention, la société française faisait valoir que la Cour d’appel de Lyon aurait dû appliquer le droit italien et non le droit français, en exposant qu’elle avait soutenu, dans ses conclusions d’appel, le moyen selon lequel le droit français était inapplicable à l’action en cause au profit du droit italien.
En particulier, la société française soutenait au visa des articles 3 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce que « lorsque l'action en responsabilité délictuelle pour brusque rupture des relations contractuelles est fondée sur un délit complexe, la rupture ayant été décidée dans un pays mais ses effets ayant été subis dans un autre, la loi applicable est celle du pays parmi ces deux présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ». Selon la société française, la rupture des relations entre les parties a été décidée par elle en France mais subie par la société italienne en Italie, de sorte que le droit italien aurait dû s’appliquer, ce qui aurait eu pour effet de faire échapper le litige au champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies.
La Cour de cassation rejette également ce moyen et approuve la Cour d’appel de Lyon d’avoir considéré qu’elle n’avait pas été saisie d’une contestation relative à l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce au litige en cause.
La Cour de cassation énonce à cet égard :
- en premier lieu, que devant les premiers juges, les parties n'avaient pas discuté l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce de sorte que la Cour d’appel n'avait pas à inviter les parties à formuler leurs observations sur ce simple constat ;
- en second lieu, que si la société française affirmait que la société italienne invoquant un préjudice subi en Italie, ne pouvait demander qu'il en soit fait application, elle soutenait en même temps qu’elle était fondée à interrompre ses relations commerciales avec la société italienne en application de l’article L. 442-6 du Code de commerce.
Et la Cour de considérer, avant de conclure au rejet du pourvoi, « qu'en l'état de ces conclusions contradictoires, qu'elle était tenue d'interpréter, la cour d'appel a pu estimer qu'elle n'était pas saisie d'une contestation sur l'application du droit italien ».
Il en ressort que l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce dans ce litige tient principalement à cette circonstance d’ordre procédural, la Cour d’appel n’ayant pas été saisie d’une contestation sur une telle application. A cet égard, cette contestation semble résulter des demandes contradictoires formées par la société française, dès lors que la Cour de cassation reconnaît bien que la société française affirmait dans ses conclusions d’appel « que [la société italienne], invoquant un préjudice subi en Italie, ne pouvait demander qu'il en soit fait application ».
Il est toutefois permis de s’interroger sur le bien-fondé de l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce au litige en cause, survenant dans un contexte international.
On rappellera, en effet, que depuis l’arrêt Granarolo rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 juil. 2016, aff. C-196/15), il a été jugé qu’ « une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi-délictuelle (…), s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d’éléments concordants » (Cass. Com., 20 sept. 2017, n° 16-14.812).
L’arrêt Granarolo, qui n’avait pas encore été rendu à la date de l’arrêt d’appel, la Cour d’appel de Lyon n’a pas procédé à la recherche des éléments concordants pouvant caractériser l’existence d’une relation commerciale tacite, mais a énoncé, pour justifier l’application de la loi française, que « la loi applicable à la responsabilité extra-contractuelle est celle de l'Etat du lieu où le fait dommageable s'est produit et que ce lieu s'entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui du lieu de réalisation de ce dernier ».
L’application des règles de droit international privé peut cependant surprendre.
En premier lieu, on peut s’interroger sur l’absence d’application du Règlement européen du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit « Règlement Rome II »).
En effet, l’article 32 de ce règlement précise que celui-ci est applicable à partir du 11 janvier 2009.
Or, si la Cour d’appel énonçait qu’« en janvier 2009, la [société française] […] a bloqué la livraison effectuée comme retenu le montant de différentes factures », elle relevait que « malgré ces 'errements' dénoncés au titre des mois de février et mars 2012, la [société française] a continué à passer des commandes à sa partenaire jusqu'à début juin 2009 », de sorte que la rupture brutale de relations commerciales établies n’a pu intervenir avant juin 2009.
Cette circonstance ne rendait-elle pas applicable le Règlement Rome II, dont l’article 4.1 prévoit que « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent » et dont l’application aurait conduit à désigner la loi italienne dès lors que la victime de la rupture se situait en Italie ?
En second lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation « qu'en l'absence d'une convention internationale ou d'un règlement de l'Union européenne applicables, les règles de droit international privé désignent, s'agissant de déterminer la loi compétente en matière de responsabilité extra-contractuelle, celle de l'État sur le territoire duquel le fait dommageable s'est produit, ce lieu s'entendant aussi bien de celui du fait générateur du dommage que de celui de sa réalisation, le juge devant rechercher, en cas de délit complexe, le pays qui présente les liens les plus étroits avec le fait dommageable » (en ce sens, Cass. com., 4 nov. 2014, n° 12-27.072).
Or, il apparait que le litige en cause dans l’arrêt commenté du 6 décembre 2017, survenu dans un contexte international, constituait un délit complexe dans la mesure où la décision de rompre (fait générateur du dommage) avait été prise par la société française située en France, alors que le préjudice consécutif à cette rupture (réalisation du dommage) avait été subi par la société italienne située en Italie.
L’existence d’un délit complexe commande de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable. C’est ainsi que dans son arrêt Guerlain, la Cour de cassation avait approuvé la Cour d’appel de Paris d’avoir appliqué l’article L. 442-6 du Code de commerce dès lors que la France présentait les liens les plus étroits avec le litige opposant un fournisseur français et un distributeur chilien s’estimant victime d’une rupture brutale de relations commerciales établies (Cass. com., 25 mars 2014, n° 12-29.534).
Quoi qu’il en soit, la portée de l’arrêt commenté du 6 décembre 2017 doit être mesurée, celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une publication et le rejet du pourvoi ayant été justifié par des raisons d’ordre procédural tenant, selon la Cour de cassation, à l’absence de contestation sur l’application de l’article L. 442-6 du Code de commerce.
Cass. com., 6 déc. 2017, n° 16-15.674
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