Le fait d’imputer à une personne la commission d’une infraction constitue un acte de dénigrement s’il s’agit d’un acte de concurrence déloyale
Le fait d’accuser un concurrent de contrefacteur auprès de la clientèle alors qu’aucune décision ne l’a condamné pour de tels faits afin de l’évincer du marché constitue un acte de concurrence déloyale et donc un acte de dénigrement.
Les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft assignent la société Fashion Television International Limited devant le juge des référés afin de faire cesser des actes de dénigrement.
Elles reprochent en effet à cette dernière d’avoir adressé un courrier aux sociétés Free et Orange ainsi qu’à d’autres distributeurs de télévision en les mettant en demeure de cesser de diffuser leurs programmes au motif que cette diffusion constituait une contrefaçon de la marque dont elle était titulaire.
En première instance, la société Fashion Television International Limited soutenait que leur demande était irrecevable car les faits relevaient de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle soulevait également l’incompétence de la juridiction au motif que les faits nécessitaient de déterminer s’il y avait ou non contrefaçon de sa marque, appréciation relevant de la compétence exclusive du tribunal de grande instance.
Le juge des référés rejette ses arguments et interdit à la société Fashion Television International Limited de dénigrer les demanderesses auprès des tiers en alléguant qu’elles commettraient des actes de contrefaçon sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée.
La société Fashion Television International Limited interjette appel de l’ordonnance.
La Cour d’appel relève qu’il ressort du courrier que cette dernière :
- accuse les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft de contrefaçon ;
- enjoint aux distributeurs de télévision de cesser la diffusion du programme Fashion TV, de lui communiquer des informations sur les prix qu’ils avaient payé en échange de la diffusion de la chaîne et d’enlever tous les logos « Fashion TV » de leurs annonces publicitaires et sur internet, sous peine de poursuites judiciaires.
Elle considère que le courrier doit s’analyser en un acte de concurrence déloyale visant à évincer les intimées du marché constitué par les distributeurs Free, Orange et Numéricâble et qu’il s’agit donc d’un acte de dénigrement exposant son auteur à une action en réparation sur le fondement de l’article 1382 du code civil et ne relevant pas de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Elle confirme donc l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré l’action des sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft recevables.
Elle confirme également la compétence du premier juge dans la mesure où le seul fait d’accuser un concurrent de contrefacteur auprès de la clientèle alors qu’aucune décision ne l’a condamné pour de tels faits constitue un acte de dénigrement et que la qualification du courrier litigieux de dénigrement ne nécessite pas d’apprécier au préalable si le fait allégué de contrefaçon est avéré.
La Cour d’appel confirme par conséquent l’ordonnance ayant fait interdiction à la société Fashion Television International Limited de dénigrer les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft sous astreinte par infraction constatée.
Cette décision est surprenante dans la mesure où la jurisprudence considère de manière constante que le fait d’imputer une infraction, un acte contraire à la morale, à la probité ou aux bonnes mœurs constitue une atteinte à l’honneur et relève de la diffamation.
Cependant, en l’espèce, la Cour a considéré que l’accusation en question constituait un acte de dénigrement car elle constituait un acte de concurrence déloyale visant à évincer un concurrent du marché.
Pour arriver à ce constat, il apparaît que la Cour a analysé quel était l’objectif recherché dans le courrier adressé par la société Fashion Television International Limited aux distributeurs de télévision.
En l’espèce, le but du courrier n’était pas de diffamer les sociétés Fashion TV Paris et Fashion TV Programmgesellschaft mais de tenter de les évincer du marché puisque la société Fashion Television International Limited enjoignait les distributeurs de télévision de cesser la diffusion du programme Fashion TV.
Cette solution était aussi opportune car elle a permis à la Cour de confirmer l’ordonnance faisant cesser les actes de dénigrement.
CA Paris, 9 mars 2017, n°15/10327
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