"La Mafia" porte atteinte à l'ordre public
Le Tribunal de l’Union Européenne annule une marque « La Mafia se sienta a la mesa » pour atteinte à l’ordre public.
S’il fait assez peu de doute que les organisations criminelles mafieuses portent atteinte à l’ordre public, qu’en est-il de l’utilisation du terme « Mafia » à titre de marque ? La récente décision du Tribunal de l’Union Européenne apporte une illustration intéressante des cas de refus d’enregistrement de marque contraires à l’ordre public.
En effet, parmi les cas de refus d’enregistrement d’une marque, figurent notamment « les marques qui sont contraires à l'ordre public ou aux bonnes mœurs » (article 7, §1, f du Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne, anciennement article 7, §1, f du règlement (UE) 207/2009).
En l’espèce, une société espagnole a demandé l’enregistrement d’une marque européenne semi-figurative dénommée « La Mafia se sienta a la mesa » (soit en français : La Mafia se met à table) afin de désigner en particulier des activités de restauration. La marque est enregistrée le 20 décembre 2007. En 2015, la République italienne demande l’annulation totale de la marque au motif qu’elle était contraire à l’ordre public. La chambre des recours de l’Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) fait droit à la demande de la République italienne. Un recours est introduit contre cette décision devant le Tribunal de l’Union Européenne.
La décision de celui-ci apporte plusieurs précisions utiles sur la manière d’apprécier si une marque est contraire à l’ordre public et notamment, le public pertinent au titre duquel doit être apprécié l’existence du motif de refus. Il convient préalablement de rappeler qu’une marque peut être considérée comme contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs lorsqu’elle est considérée comme profondément offensante.
Tout d’abord il est précisé que l’appréciation doit être faite par rapport à « une personne raisonnable ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance ». L’appréciation ne doit donc se faire ni par rapport à un public que rien ne choque, ni au contraire par rapport à un public facilement offensé.
De plus, contrairement à l’appréciation faite dans d’autres cadres (par exemple pour apprécier le caractère distinctif ou non d’une marque) le public pertinent ne se limite pas ici aux personnes auxquelles sont destinés les produits ou services visés dans le dépôt mais à l’ensemble du public. Le signe est en effet susceptible de choquer les utilisateurs des produits ou services concernés mais plus généralement toute personne qui serait mise en présence de cette marque. Au-delà le Tribunal précise que ce caractère choquant ou offensant d’une marque s’apprécie quels que soient les produits ou services visés.
Le public concerné peut être celui de l’ensemble de l’Union Européenne mais également celui d’un pays en particulier. En effet, l’appréciation du caractère offensant d’un signe peut varier d’un pays à l’autre, pour des raisons culturelles, linguistiques, historiques ou sociales.
Le Tribunal a ensuite réalisé une appréciation de ces critères au cas d’espèce, appréciant la perception du terme « mafia » tant de manière générale que plus spécifiquement au regard du public italien, pour conclure que « la marque contestée, envisagée dans son ensemble, renvoie à une organisation criminelle, donne une image globalement positive de cette organisation et, ainsi banalise les atteintes graves portées par ladite organisation aux valeurs fondamentales de l’Union (…). La marque contestée est ainsi de nature à choquer ou à offenser non seulement les victimes de cette organisation criminelle et leurs familles, mais également toute personne qui, sur le territoire de l’Union, est mise en présence de ladite marque et possède des seuils moyens de sensibilité et de tolérance ».
Le risque d’annulation pour atteinte à l’ordre public, s’il peut apparaître moins important que celui lié à l’absence de distinctivité ou à l’existence d’antériorité ne doit toutefois pas être écarté. Il convient donc d’être vigilant lors de l’enregistrement d’une marque, a fortiori européenne, et cela d’autant plus que la perception de ladite marque peut varier d’un pays à l’autre. Les conséquences d’une telle annulation sont par ailleurs spécifique importantes pour les entreprises qui veulent se développer en réseau, puisqu’en cas d’annulation de la marque, tous les contrats comportant une licence de la marque annulée se trouvent dès lors sans objet et encourent alors eux-mêmes l’annulation. Cela fait donc peser un risque sur l’ensemble du réseau et un risque financier significatif, la nullité entraînant la restitution des sommes versées au titre du contrat annulé.
Trib. UE. 15 mars 2018, n° T-1/17, La Mafia Franchises, SL c/ EUIPO et République italienne
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