Bail commercial et valeur locative : Faut-il prendre en compte le prix versé par le locataire à son entrée dans les lieux pour apprécier la valeur locative ?
Pour apprécier les loyers du voisinage et déterminer ainsi la valeur locative des locaux, il convient de prendre en compte seulement le loyer « pur » et non l’amortissement du pas-de-porte ou du prix d’acquisition du droit au bail commercial payés par les locataires voisins.
Faut-il prendre en compte le pas-de-porte versé au bailleur ou le prix d’acquisition du droit au bail commercial versé au cédant pour apprécier la valeur locative des locaux ?
La Cour d’appel de Paris vient d’affirmer que pour apprécier les loyers du voisinage et déterminer ainsi la valeur locative des locaux, il convient de prendre en compte seulement le loyer « pur » et non l’amortissement du pas-de-porte ou du prixd’acquisition du droit au bail payés par les locataires voisins. L’arrêt est toutefois nuancé.
A titre liminaire, rappelons que pour fixer le loyer de renouvellement ou de révision des baux commerciaux, l’article L.145-33 du code de commerce pose en principe que :
« Le montant des loyers des baux commerciaux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1 Les caractéristiques du local considéré ;
2 La destination des lieux ;
3 Les obligations respectives des parties ;
4 Les facteurs locaux de commercialité ;
5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ».
La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 2012, a rappelé que les méthodes d’appréciation des valeurs locatives relèvent de la compétence souveraine des juges du fond (cass. civ 3e, 11 déc. 2012, n°11-11466).
La question qui prête à discussion consiste à savoir si, pour apprécier les loyers pratiqués dans le voisinage, il convient ou non d’ajouter au loyer « pur » la part du capital versé par les locataires au moment de leur entrée dans les lieux, à savoir l’amortissement du droit d’entrée versé au bailleur ou du prix d’acquisition versé au cédant du droit au bail commercial.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 16 septembre 2016 a retenu que :
« C’est de manière pertinente que l’expert n’a pas tenu compte, dans son examen des loyers du voisinage, de ceux dits décapitalisés, en estimant que la valeur locative était à apprécier uniquement au regard des valeurs locatives unitaires qui se dégagent des loyers périodiques et non en tenant compte de celles issues de l’amortissement des droits d’entrée ou des prix de cession, versés au cédant et non au bailleurs et ce notamment pour des emplacements de haute commercialité pour lesquels la valeur du droit au bail commercial qui est payée peut inclure d’autres éléments de valorisation qui ne sont pas strictement liés à l’économie de loyer et peuvent revêtir une valeur d’opportunité ou de stratégie de développement, de sorte que le droit au bail commercial qui est acquitté n’a pas la qualité d’un complément de loyer ».
La portée de cet arrêt doit toutefois être précisée car la solution dégagée trouve son fondement dans le fait qu’en l’espèce le montant du droit d’entrée ou du prix ne constituait pas nécessairement un complément de loyer.
L’arrêt sous-tend que le droit d’entrée ou prix de cession peut aussi, notamment lorsque la commercialité du lieu est forte, être motivé par « d’autres éléments de valorisation qui ne sont pas strictement liés à l’économie de loyer», telles des considérations « d’opportunité ou de stratégie de développement ».
Ainsi, la Cour d’appel de Paris n’exclut pas que le droit d’entrée ou le prix de cession puisse dans certains cas constituer un complément de loyer. La Cour d’appel précise seulement que le caractère de complément de loyer doit être démontré et s’apprécie au cas par cas.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris intervient dans un contexte jurisprudentiel instable :
Certaines Cour d’appel, telle que la Cour d’Aix-en-Provence, ont pris en compte, pour fixer le loyer de renouvellement, "des loyers avec décapitalisation du pas-de-porte". La Cour de cassation refusant de s’immiscer dans cette question d’appréciation souveraine des juges du fonds avait rejeté le pourvoi formé à son encontre (Cass. civ. 3e, 11 Octobre 2011 - n° 08-18.599).
A l’inverse, la Cour d’appel de Paris, dans un récent arrêt du 28 mars 2012 s’était plutôt montrée opposée à tout prise en compte du pas-de-porte ou du prix de cession, au motif que "ces références concernent pour une grande part des loyers dits décapitalisés qui ne constituent pas des références pertinentes dans la mesure où la valeur de décapitalisation ne constitue pas un élément du loyer" (CA Paris, 28 mars 2012 : JurisData n° 2012-007427)
Laissée à l’appréciation des juges du fonds sans directive de la Cour de cassation, cette question qui agite les acteurs immobiliers n’est donc certainement pas close.
De notre point de vue, seul le droit d’entrée, versé au bailleur, est susceptible de constituer un complément de loyer et ne doit être pris en compte que lorsqu’il est expressément établi que les parties ont entendu lui donner le caractère de complément de loyer.
L’intérêt des enseignes n’est évidemment pas que cette décapitalisation soit admise, ce qui doit les pousser, lors des négociations de baux commerciaux, à veiller à ce que la qualification de complément de loyer soit exclue pour tout droit d’entrée payé.
Précisons que la jurisprudence précitée ne concerne que l’appréciation de la valeur locative, non le calcul de l’indemnité d’éviction. Pour ce dernier, les experts tiennent compte des prix décapitalisés, puisqu’il s’agit précisément du prix que devra payer le locataire évincé pour se réinstaller.
CA Paris, ch. 5.3, 16 septembre 2016, n° 14/13401
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