Les conditions de mise en œuvre de l’imprévision
Quelles sont les conditions à remplir pour se prévaloir de l’imprévision et obtenir la renégociation ou la résiliation d’un contrat impacté par l’évolution du contexte économique ?
La réforme du droit des obligations de 2016 a introduit dans le code civil un article relatif à l’imprévision. Il s’agit de l’article 1195 du code civil, qui dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. (…) ».
Il y a donc deux conditions essentielles :
- La survenue de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat ;
- Le fait que ces circonstances rendent l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie, sans que celle-ci n’ait accepté ce risque.
L’article précise ensuite le processus applicable. Tout d’abord pendant la renégociation, les parties continuent d’exécuter leurs obligations, y compris la partie qui a demandé la renégociation. En cas de refus de l’autre partie de négocier, ou d’échec des négociations, les parties ont alors les possibilités suivantes :
- convenir de résilier le contrat, selon des conditions qu’elles détermineront ensemble ;
- demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat ;
- A défaut d’accord dans un délai raisonnable, chaque partie peut saisir le juge pour lui demander :
o De réviser le contrat ; ou
o D’y mettre fin aux dates et aux conditions qu’il fixera.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 novembre 2022 se prononce sur les conditions de mise en œuvre de cet article, dans le contexte de la sortie de la première vague du Covid et de la guerre en Ukraine.
Les faits sont les suivants : une entreprise distribue de l’adblue pour les moteurs de véhicules diesel, afin de réduire les émissions de gaz d’échappement. La production de l’adblue nécessite de l’urée, dont le prix dépend notamment de celui du gaz. La société qui distribue l’adblue s’était prévalu des augmentations du prix de l’urée pour demander la résiliation du contrat qui le liait à un acheteur qui utilisait l’adblue pour sa flotte de camions. Les augmentations des prix de l’urée dont se prévalait le distributeur d’adblue étaient :
- de plus de 300% à compter du mois d’octobre 2021, liée à la reprise économique qui a suivi la première vague de la pandémie de Covid ; et
- de près de 600% en février 2022 à la suite du démarrage de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
La Cour d’appel de Paris a considéré que le distributeur d’adblue était bien fondé à soutenir que les augmentations du prix de l’urée « constituent un changement de circonstances imprévisible affectant le prix de vente de l’adblue convenu au moment de la souscription du contrat ». Il est aussi bien fondé à contester le fait qu’il aurait accepté ce risque.
Par contre, la Cour d’appel relève que le caractère excessivement onéreux de l’exécution du contrat ne saurait se déduire de la seule variation du prix de l’urée, ni a fortiori des variations de prix du gaz. Pas plus que d’une simple affirmation que le distributeur vendait à perte. Elle reproche au distributeur de ne pas avoir produit des « éléments comptables et financiers de nature à caractériser cette condition de la résiliation du contrat sur le fondement de l’imprévision ».
Ainsi, en démontrant la hausse des prix d’une matière première nécessaire à la fabrication des produits, le distributeur a bien démontré que la première condition, à savoir la survenue de circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat, était remplie. Par contre, même si ces circonstances exceptionnelles consistent en une forte augmentation du coût de matières premières, le caractère excessivement onéreux de l’exécution du contrat ne se présume pas de la seule preuve de cette augmentation. Il doit être effectivement démontré et pour cela, une analyse économique et financière de l’impact de l’augmentation de ces coûts est indispensable.
Les contractants qui souhaiteraient mettre en œuvre cette clause d’imprévision devront prévoir de rassembler l’ensemble des éléments de preuve permettant de démontrer que les deux conditions sont remplies, avant de s’engager dans une mise en œuvre de l’article 1195 du Code civil.
CA Paris, Pôle 5 – Chambre 11, 25 nov. 2022, n°22/00326
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