Abus de position dominante et prix discriminatoires : désavantage concurrentiel !
Pour sanctionner une pratique de prix discriminatoires sur le fondement de l’article 102 TFUE, il convient de prouver, au terme d’un examen concret, que la pratique en cause produit ou est susceptible de produire un désavantage concurrentiel.
GDA est une société coopérative de gestion collective de droits des artistes et des interprètes, à but non lucratif, qui gère les droits voisins aux droits d’auteur de ses membres et de ceux d’organismes de gestion étrangers, avec lesquelles elle a conclu un contrat de représentation et/ou de réciprocité. Dans le cadre de cette mission, GDA a comme activité principale la perception de redevances provenant de l’exercice des droits voisins et la distribution de ces montants aux titulaires.
Bien que ne bénéficiant pas d’un monopole légal, cette société est désormais le seul organisme chargé de la gestion collective des droits voisins au Portugal.
Parmi les entreprises qui utilisent le répertoire des membres de GDA, ainsi que des organismes analogues étrangers avec lesquels GDA a conclu des contrats de représentation ou de réciprocité, figurent les fournisseurs de service payant de transmission du signal de télévision et de son contenu.
La requérante, MEO, est l’un de ces fournisseurs et est, de ce fait, cliente de GDA, au même titre que NOS, son concurrent direct.
S’estimant victime d’un abus de position de la part de GDA, MEO a saisi l’autorité de la concurrence portugaise. Cet abus résulterait du fait que GDA pratiquait des prix excessifs en ce qui concerne l’application des droits voisins aux droits d’auteur et que GDA appliquait également des conditions inégales entre MEO et NOS.
Il dénonce le comportement prétendument abusif de GDA, qui, bien que ne disposant pas d’un monopole légal, est le seul organisme chargé de la gestion collective des droits connexes des artistes active au Portugal.
L’autorité portugaise a conclu au classement sans suite de cette affaire pour les raisons suivantes :
- faible différence entre les tarifs pratiqués par GDA envers, respectivement, MEO et NOS par rapport au coût moyen.
Selon l’autorité de la concurrence portugaise, cette différence n’était donc pas de nature à compromettre la position concurrentielle de MEO, celle-ci étant en mesure d’absorber ladite différence. - augmentation de la part de marché de MEO pendant la période de l’application des tarifs en question alors que la part de marché de NOS – l’opérateur « avantagé » – diminuait à due concurrence.
- la discrimination tarifaire dénoncée résultait de l’application d’une décision arbitrale – conformément au droit national – du fait de l’échec des négociations entre GDA et MEO.
Saisi d’un recours contre cette décision de classement sans suite de l’autorité de la concurrence, le tribunal de la concurrence, de la régulation et de la supervision portugais considère que :
- le monopole de fait sur le marché pertinent que détient GDA permet, en principe, de considérer que celle-ci a une position dominante, mais
- qu’il existe des indices selon lesquels les fournisseurs d’un service payant de transmission du signal de télévision et de son contenu bénéficient néanmoins d’une marge de négociation considérable vis-à-vis de GDA.
- que la décision de classement sans suite est fondée sur le fait que la différence entre les tarifs pratiqués par GDA envers, respectivement, MEO et NOS était faible par rapport au coût moyen, de sorte que cette différence n’était pas de nature à compromettre la position concurrentielle de MEO, celle-ci étant en mesure d’absorber ladite différence.
Le tribunal considère toutefois qu’il n’est pas exclu que la capacité concurrentielle de MEO ait été affectée en raison de cette différenciation tarifaire eu égard aux chiffres produits par MEO relatifs aux coûts total et moyen par consommateur supportés ainsi que sur les profits et la rentabilité de son entreprise durant la période concernée.
C’est dans ce contexte que le tribunal de la concurrence portugais a saisi la CJUE d’une question préjudicielle composée de huit questions demandant en substance si la notion de « désavantage dans la concurrence », au sens de l’article 102, second alinéa, sous c), TFUE, doit être interprétée en ce sens qu’elle requiert une analyse des effets concrets d’une application de prix différenciés par une entreprise en position dominante sur la situation concurrentielle de l’entreprise affectée et, le cas échéant, s’il y a lieu de prendre en compte la gravité desdits effets.
Dans ses conclusions présentées le 20 décembre 2017, l’avocat général Nils Wahl avait conclu que le constat de l’existence d’un désavantage concurrentiel exigeait que, au-delà de la discrimination éventuellement subie, soit concrètement établie l’existence d’un désavantage concurrentiel, c’est-à-dire que le comportement en cause ait eu un effet spécifique sur la position concurrentielle de l’entreprise prétendument discriminée.
En d’autres termes, le désavantage subi doit être suffisamment significatif pour avoir des conséquences sur la position concurrentielle de l’entreprise discriminée.
Le 19 avril 2018, la Cour de justice dit pour droit :
- qu’il importe de constater que le comportement de l’entreprise en position dominante sur un marché non seulement est discriminatoire, mais encore
- qu’il tend, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, à fausser ce rapport de concurrence, c’est-à-dire à entraver la position concurrentielle d’une partie des partenaires commerciaux de cette entreprise par rapport aux autres.
Toutefois, il n’est pas exigé que soit apportée en outre la preuve d’une détérioration effective et quantifiable de la position concurrentielle des partenaires commerciaux pris individuellement.
Il appartiendra à l’autorité de concurrence ou à la juridiction nationale compétente d’effectuer un examen concret de l’ensemble des circonstances pertinentes afin de déterminer si une discrimination de prix produit ou est susceptible de produire un désavantage concurrentiel, au sens de l’article 102, second alinéa, sous c), TFUE (pt. 28).
La Cour précise alors ce qu’elle entend par examen concret : il s’agit d’apprécier la position dominante de l’entreprise, le pouvoir de négociation en ce qui concerne les tarifs, les conditions et les modalités d’imposition de ceux-ci, leur durée et leur montant, ainsi que l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer du marché en aval l’un de ses partenaires commerciaux au moins aussi efficace que ses concurrents.
On comprend que si le coût de la prestation, dont le prix imposé par l’entreprise dominante est dénoncé comme discriminatoire, représente une part significative des coûts totaux supportés par le client défavorisé, la discrimination des prix pourrait avoir un impact non seulement sur la rentabilité de l’activité de ce client, mais également sur sa position concurrentielle. En revanche, dans l’hypothèse où les coûts relatifs aux prix imposés par l’entreprise dominante sont dérisoires, les prix pratiqués par l’entreprise en position dominante ne sont pas de nature à affecter la position concurrentielle du client défavorisé (ce qui semble être le cas en l’espèce).
CJUE, 19 avril 2018, C 525/16, aff. MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA c/ Autoridade da Concorrência,
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